Découverte dans une grotte de la vallée du Rhône des plus anciens hommes modernes d’Europe
Une vaste étude dirigée par deux chercheurs du CNRS, Ludovic Slimak (UMR 5608 TRACES, Université Toulouse Jean Jaurès) et Clément Zanolli (UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux), publiée dans Science Advances, vient de lever le voile sur la plus ancienne migration d’Homo sapiens en Europe. Il aura fallu 30 années de recherches dans une grotte au cœur de la vallée du Rhône pour démontrer que le scénario admis jusque-là de remplacement des Néandertaliens par les humains modernes ne rendait pas compte de la complexité réelle des dynamiques de successions de ces groupes humains.
On pensait jusqu’alors que les premiers humains modernes avaient atteint le continent européen pour la première fois il y a 43 à 45.000 ans, remplaçant définitivement les populations locales néandertaliennes. Une nouvelle étude se fondant sur les recherches multidisciplinaires développées par une équipe de chercheurs internationale à la Grotte Mandrin (sur la commune de Malataverne dans la Drôme) remet en question ce scenario. Cette publication démontre la présence d’humains modernes au cœur de la vallée du Rhône dès le 54ème millénaire avant notre ère, soit 10 à 12 millénaires avant leur arrivée jusqu’alors supposée sur le continent européen.
Ce saut dans le temps a ici des implications fondamentales sur notre compréhension de la colonisation du continent par nos ancêtres ainsi que sur les relations que l’on peut percevoir entre les populations néandertaliennes et Homo sapiens. En effet, en développant des analyses croisées entre les vestiges humains, les technologies artisanales de ces populations et des analyses chronologiques à très haute résolution l’équipe scientifique internationale travaillant sur les vestiges de la Grotte Mandrin a réussi à démontrer que la première arrivée d’Homo sapiens documentée en Europe s’effectue au cœur de la vallée du Rhône, sur un territoire encore occupé par des Néandertaliens. En effet, la Grotte Mandrin enregistre la succession des deux populations, dont l’occupation du site est séparée au maximum par quelques saisons, ceci induisant une contemporanéité stricte des deux populations soit dans la cavité même soit au sein du territoire environnant.
Ce groupe humain moderne pionnier en Europe va alors occuper ce territoire durant une quarantaine d’années, revenant annuellement à la Grotte Mandrin tout en exploitant un vaste territoire de plusieurs centaines de kilomètres autour de la cavité. Ces installations pionnières voient cependant leur remplacement au bout de cette quarantaine d’années, et donc globalement après une génération humaine, par des populations néandertaliennes qui réinvestissent la Grotte Mandrin et ces territoires rhodaniens.
Bien plus que de simplement reculer de plus de 10 millénaires l’arrivée de nos ancêtres en Europe, ces recherches permettent de repenser fondamentalement les relations ayant pu exister entre humains modernes et Néandertaliens, démontrant pour la première fois en Europe leur stricte contemporanéité sur un territoire donné. La démonstration de l’existence de processus de remplacement qui ne sont pas unilatéraux—Homo sapiens remplaçant définitivement les Néandertaliens—vient aussi déstabiliser des pans entiers de nos connaissances sur les relations entre ces deux populations. Les données de la Grotte Mandrin démontrent que ces processus de remplacement furent en réalité structurés, de manière inattendue, autour de différentes vagues de peuplement se remplaçant successivement dans le temps. L’analyse des restes humains dans la vaste séquence archéologique de la Grotte Mandrin montre ainsi au moins quatre phases de remplacements dans les 10 derniers millénaires d’existence des populations néandertaliennes—Néandertaliens/Homo sapiens/Néandertaliens/Homo sapiens—permettant de repenser les équilibres ayant existé entre ces groupes humains.
Enfin, l’étude démontre l’existence de liens techniques et culturels très forts entre les artisanats attribués à Homo sapiens reconnus à la Grotte Mandrin et les ensembles du Proche-Orient de l'Initial Upper Paleolithic, tels que défini à l’est de la méditerranée dans le célèbre gisement de Ksar Akil au Liban. Les similitudes techniques et culturelles entre les industries néroniennes de la Grotte Mandrin et celle de Ksar Akil suggèrent l’existence de connexions transméditerranéennes reliant Europe et Proche-Orient dès le 54ème millénaire avant notre ère.
Laboratoires CNRS impliqués
- Travaux et Recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (TRACES, CRNS / Ministère de la culture / Université Toulouse - Jean Jaurès)
- De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA, CNRS / Ministère de la culture / Université de Bordeaux)
Référence
Ludovic Slimak, Clément Zanolli, et al. 2021, Modern human incursion into Neanderthal territories 54,000 years ago at Mandrin, France. Science Advances.