La biodiversité cachée du sol : découverte de deux nouvelles espèces de vers de terre dans le Parc national de Port-Cros
Les sols abritent une diversité biologique exceptionnelle et encore largement méconnue. Dans une étude publiée dans European Journal of Taxonomy, des chercheurs français et espagnols dont un chercheur du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/EPHE/IRD/Univ Paul Valéry Montpellier 3) décrivent deux espèces de vers de terre nouvelles pour la science, récemment échantillonnées sur les îles du Parc national de Port-Cros. Cette découverte est tout à fait remarquable puisque cela faisait 15 ans qu’aucune espèce nouvelle n’était trouvée en France métropolitaine. La localisation de ces espèces, comparée à la distribution de leurs plus proches parents d’un point de vue évolutif, donne un éclairage nouveau sur l’origine biogéographique de la faune de ces îles emblématiques.
Les vers de terre sont unanimement reconnus comme des acteurs essentiels du fonctionnement des écosystèmes terrestres. Cependant, à l’instar de nombreux autres représentants de la faune du sol, ils restent encore à l’heure actuelle un groupe d’organisme peu étudié. En France, un peu plus de 160 espèces sont connues sur le territoire métropolitain, mais relativement peu d’études récentes se sont intéressées à la composition des assemblages d’espèces dans des environnements autres que agricoles.
En mars 2018, le Parc national de Port-Cros a collaboré avec une équipe de chercheurs, dont un issu du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/EPHE/IRD/Univ Paul Valéry Montpellier 3), pour réaliser un inventaire de la diversité des vers de terre sur trois zones comprenant le Cap Lardier et les îles de Port-Cros et de Porquerolles. L’utilisation combinée de diagnoses morphologiques et du barcoding ADN a permis de dénombrer un total de 15 espèces, et de décrire les différents mécanismes ayant permis la colonisation des zones insulaires par ces organismes (Marchán et al. 2020a). Après une analyse plus poussée de l’anatomie interne et le séquençage de gènes supplémentaires, deux espèces se sont révélées nouvelles pour la science (Marchán et al. 2020b). Une telle découverte, même si elle n’est pas exceptionnelle en Europe, est tout à fait remarquable pour la France métropolitaine puisque cela faisait maintenant 15 ans qu’aucune espèce nouvelle n’y était trouvée. Ces espèces ont été nommées Cataladrilus porquerollensis Marchán & Decäens (2020) et Scherotheca portcrosana Marchán & Decäens (2020) en références aux deux îles d’où elles sont exclusivement connues. Les résultats de cette découverte font l’objet d’une publication dans European Journal of Taxonomy.
La découverte d’une espèce de Cataladrilus dans les îles de Hyères est surprenante puisque ce genre était jusqu’à présent considéré comme un endémique du nord-est de la Péninsule Ibérique. Comme l’indiquent Marchán et al. (2020), il est néanmoins possible que d’autres espèces de Cataladrilus puissent exister dans la zone comprise entre la Provence et la Catalogne, et que l’absence de données ne soit qu’un résultat d’un échantillonnage insuffisant ou mal ciblé. Une autre explication serait que la distribution actuelle de C. porquerollensis soit une relique d’une distribution anciennement plus étendue, qui aurait pu englober l’ensemble de la Catalogne et de la Provence lorsque ces deux régions étaient encore connectées par une partie émergée du Golf. L’ingression marine qui les a séparées il y a environ 24 millions d’années aurait alors isolé l’ancêtre de C. porquerollensis de celui des autres Cataladrilus ibériques.
La présence du genre Scherotheca sur le territoire du Parc de Port-Cros n’est quant à elle pas surprenante, puisque la répartition du genre en France s’étend du Bassin Aquitain à la région méditerranéenne en passant par les Pyrénées. Il est cependant intéressant de constater que S. portcrosana est évolutivement affiliée aux Scherotheca de Corse, et non aux espèces pourtant géographiquement plus proches sur le continent. Il est ainsi probable que l’ancêtre commun de S. portcrosana et des autres Scherotheca ait pu diverger avant ou pendant la rotation de la micro-plaque corso-sarde il y a environ 24 millions d’années, et ait colonisé les îles de Hyères à la faveur de la connexion restée effective entre la Corse et la France continentale au cours de cette période. Là encore, cette hypothèse suppose que d’autres espèces proches devraient exister dans la partie Est de la Provence, là où un pont émergé était supposé connecter les deux régions.
D’une façon générale, il est probable que les îles de Hyères, relativement peu perturbées par les activités humaines en comparaison du reste de la Provence, aient constitué des refuges pour ces espèces de vers de terre, tandis que leurs parents proches sur le continent ont pu disparaître ou se retrouver reléguées à des habitats reliques. Il sera donc intéressant à l’avenir de réaliser ou d’intensifier les prospections dans les écosystèmes naturels reliques de la frange littorale mais également plus loin à l’intérieur des terres.
Les objectifs de développement durable
- ODD 15 : Vie terrestre
Ce travail contribue à une meilleure connaissance de la biodiversité terrestre, notamment pour un groupe particulièrement important pour le fonctionnement des écosystèmes.
Références
Marchán D.F., Hedde M., Lapied E., Maggia M.-E., Novo M., Domínguez J., Decaëns T. (2020) Contrasting phylogeographic patterns of earthworms (Crassiclitellata, Lumbricidae) on near-shore Mediterranean islands. European Journal of Soil Biology, 101, 103242
Marchán D.F., Decaëns T., Diaz Cosin D.J., Hedde M., Lapied E., Dominguz J. (2020) French Mediterranean islands as a refuge of relic earthworm species: Cataladrilus porquerollensis sp. nov. and Scherotheca portcrosana sp. nov. (Crassiclitellata, Lumbricidae). European Journal of Taxonomy, 701: 1–22.