La "redécouverte" d'un grand singe fossile en Indonésie
Une équipe internationale incluant des chercheurs français du CNRS, de l’Université de Bordeaux, de l’Université Paris Descartes, de l’Université Toulouse III et du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris a révisé, au moyen d’analyses d’imagerie virtuelle à haute résolution, la structure dentaire interne des spécimens les plus robustes d’Indonésie. Les résultats de cette étude, publiés dans la revue Nature Ecology and Evolution, identifient la présence de Meganthropus en tant que taxon hominidé du Pléistocène inférieur et moyen, distinct de l’humain, de l’orang-outan (Pongo) et de Gigantopithecus.
Depuis la découverte à Trinil de Pithecanthropus (Homo) erectus par E. Dubois en 1891, plus de 200 restes dentognathiques d’hominidés ont été collectés dans les dépôts du Pléistocène inférieur et moyen de Java, en Indonésie, formant la plus grande collection paléoanthropologique d’Asie du Sud-Est. En raison de la grande variabilité des restes de cet assemblage, d’autres attributions comme Meganthropus palaeojavanicus, Pithecanthropus dubius, ou l’orang-outan (Pongo sp.) ont été suggérées pour les spécimens les plus robustes, comme les deux portions de mandibule Sangiran 5 et 6a du site de Sangiran. Cependant, ces fossiles sont généralement attribués à Homo erectus. Pour résoudre cette incertitude taxinomique et évaluer l’évolution de la paléobiodiversité hominidée dans cette région, des analyses basées sur des méthodes d’imagerie virtuelle à haute résolution ont été employées pour extraire la signature structurale imprimée dans les tissues dentaires.
L’analyse par Occlusal Fingerprint Analysis a permis de reconstruire les dynamiques masticatoires des fossiles indonésiens, mettant en évidence un patron d’usure dentaire similaire à celui des grands singes et bien différent de celui des humains actuels et fossiles, Homo erectus inclus. La quantification des proportions des tissus dentaires, et notamment des proportions entre la couronne et la racine, a également mis en évidence un signal s’approchant plus de celui de l’orang-outan que du patron humain. L’utilisation des méthodes d’analyse de la conformation, aussi appelées morphométrie géométrique, a permis de discriminer statistiquement la morphologie de la dentine et de la chambre pulpaire de Meganthropus de celles des humains actuels et fossiles et de rapprocher les spécimens robustes d’Indonésie d’un grand singe fossile présent dans de nombreux sites chinois de la fin du Miocène : Lufengpithecus. Ces analyses ont également révélé que les deux molaires découvertes par Eugene Dubois à Trinil à la fin du XIXe siècle, et depuis toujours considérées comme paratypes d’Homo erectus, n’appartiennent pas à la lignée humaine mais à Meganthropus.
Ces résultats révèlent la coexistence en Indonésie au cours du Pléistocène d’au moins trois taxons hominidés : Homo, Pongo et Meganthropus - la présence d’un quatrième protagoniste hominidé à Java, Gigantopithecus, est encore débattue. Que ce soit en raison de l’expansion démographique d’Homo erectus, de changements paléoenvironnementaux, d’une compétition avec Pongo et Gigantopithecus, ou d’une combinaison de ces facteurs, Meganthropus a disparu au Pléistocène moyen, ne laissant comme grands singes que trois espèces d’orang-outan (Pongo pygmaeus, P. abelii et P. tapanuliensis) subsistants aujourd’hui dans des territoires de plus en plus petits dans les îles de Bornéo et Sumatra.
Référence
Zanolli C, Kullmer O, Kelley J, Bacon AM, Demeter F, Dumoncel J, Fiorenza L, Grine FE, Hublin JJ, Anh Tuan N, Thi Mai Huong N, Pan L, Schillinger B, Schrenk F, Skinner MM, Ji X, Macchiarelli R. Evidence for increased hominid diversity in the Early-Middle Pleistocene of Indonesia. Nat Ecol Evol. 2019