La biodiversité est belle !
Face à l’érosion actuelle de la biodiversité, les écologues se sont jusqu’ici principalement focalisés sur son rôle dans le fonctionnement des écosystèmes. Un aspect immatériel des conséquences de cette crise planétaire reste toutefois peu exploré : la manière dont l’homme perçoit la beauté d’un écosystème. Dans un article publié en septembre dernier dans Scientific Reports, une équipe réunissant des scientifiques du laboratoire d’étude de la Biodiversité marine de Montpellier (MARBEC, CNRS / Université de Montpellier / IRD / IFREMER), d’Andromède Océanologie et de l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse révèle que la biodiversité des récifs coralligènes contribue directement à qualifier cet écosystème sous-marin clé de Méditerranée de beau, c’est-à-dire correspondant à un idéal esthétique défini par l'Homme. Cette étude qui vise à expliquer les fondements de notre perception de la beauté du vivant nous interpelle sur nos motivations à préserver la biodiversité.
Si la valeur esthétique des paysages est aujourd’hui reconnue pour prendre part au bien-être humain, elle est toutefois rarement prise en compte dans les études qui lient biodiversité et services rendus à l’Homme par la nature. Ces fameux services écosystémiques revêtent en effet encore, pour la plupart d’entre eux, une dimension purement matérielle : épuration des eaux, stabilisation des sols, pollinisation, séquestration du carbone, etc. Dans une étude originale menée par un groupe de chercheurs français, ces derniers ont voulu déterminer la valeur esthétique des récifs coralligènes. Ces écosystèmes marins de Méditerranée constitués par l’empilement d’algues calcaires, situés entre 15 et 120 mètres de profondeur, abritent jusqu’à 1500 espèces différentes parmi lesquelles le célèbre corail rouge. Pour mener ce travail d’investigation, les scientifiques ont soumis à plus de 1 200 personnes plusieurs séries de deux photos présentant des niveaux de diversité biologique différents « Ces photos étaient accompagnées d’un questionnaire permettant à chacun de mesurer la valeur esthétique qu’il accorde aux récifs coralligènes figurant sur les clichés ainsi que leur degré de biodiversité taxonomique, phylogénétique et fonctionnelle », détaille Nicolas Mouquet, directeur de recherche au MARBEC et co-auteur de l’article.
L’analyse des réponses formulées par les participants de l’étude montre que le nombre d’espèces, soit la diversité taxonomique, et la diversité des traits écologiques qui s’apparent à la diversité fonctionnelle ont des effets positifs significatifs et complémentaires sur la valeur esthétique qu’une personne attribue à un récif coralligène. Les photos contenant le plus d’espèces mais aussi le plus de groupes fonctionnels, c’est-à-dire associés au bon fonctionnement des écosystèmes, ont ainsi été les plus appréciées. « Même en ne considérant que les individus du panel n’ayant à la fois aucun contact avec le milieu marin et un niveau d’étude peu élevé, ce résultat reste significatif ce qui suggère une relation plutôt forte entre l’état écologique des écosystèmes et le simple plaisir que l’on peut avoir à les regarder. », analyse Nicolas Mouquet. Ce travail, le premier du genre cherchant à savoir de quelle manière notre espèce appréhende la beauté des écosystèmes, suggère que les explications se trouvent dans notre passé évolutif mais aussi, très probablement, dans nos bagages culturels. Afin d’affiner l’analyse sociologique de leurs résultats, les chercheurs veulent désormais comprendre comment les espèces participent individuellement à notre appréciation de la beauté de ces paysages. Dans un monde où les aspects économiques sont devenus centraux, cette étude nous rappelle quoi qu’il en soit que les aspects immatériels de la biodiversité, telle que sa simple beauté, devraient tenir une place fondamentale dans nos motivations à protéger la diversité écologique.
Référence
Taxonomic and functional diversity increase the aesthetic value of coralligenous reefs, par Tribot A.S., Mouquet N., Villéger S., Raymond M., Hoff F., Boissery P., Holon F. et Deter J., publié dans Scientific Reportsle 28 septembre 2016.
DOI: 10.1038/srep34229
Contacts chercheurs
Anne-Sophie Tribot, doctorante CNRS, Fondation de France
Laboratoire d’étude de la Biodiversité marine de Montpellier (MARBEC - CNRS / Université de Montpellier/IRD/IFREMER)
anne-sophie.tribot@umontpellier.fr
Nicolas Mouquet, CNRS, coordinateur scientifique
Laboratoire d’étude de la Biodiversité marine de Montpellier (MARBEC - CNRS / Université de Montpellier/IRD/IFREMER)
nicolas.mouquet@cnrs.fr
Julie Deter
Andromède Océanologie, Université Montpellier II
julie.deter@umontpellier.fr