Une relation insecte-plante qui perdure depuis 15 millions d’années

Résultats scientifiques

Les écosystèmes sont des ensembles d’organismes qui vivent en communauté au sein d’un environnement spécifique et interagissent entre eux et avec leur milieu. La recherche en écologie s’intéresse depuis longtemps à l’étude de ces interactions et de leurs variations. Un consortium international qui a réuni des chercheurs du Museum d’Histoire Naturelle de Bonn (Allemagne), du Museum de Paléontologie de Nankin (Chine) et de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - Université de Montpellier/CNRS/IRD/EPHE) s’est intéressé à la diversité des traces d’herbivorie au sein de forêts actuelles et d’écosystèmes forestiers passés analogues. Les chercheurs ont découvert qu’une association spécifique entre un insecte herbivore et une plante hôte avait traversé le temps, malgré plusieurs millions d’années de fluctuations environnementales. Ces résultats ont été publié dans la revue Royal Society Open Science.

Depuis des décennies, de très nombreuses études des écosystèmes passés ont permis des avancées considérables dans la compréhension des changements environnementaux et des différents paramètres mis en jeu, notamment climatiques. Pourtant, les reconstitutions des fluctuations de la biodiversité au cours du temps (apparition de taxa, disparition, extinction, changements d’abondance, migration…) ont laissé peu de place à l’étude de la dynamique des interactions entre les organismes. 

Depuis quelques années, l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - Université de Montpellier/CNRS/IRD/EPHE) et le Muséum d’Histoire Naturelle de Darmstadt (Allemagne), en collaboration avec le muséum de Paléontologie de Nankin (Chine), travaillent sur les interactions plantes-insectes et leur évolution depuis les temps géologiques jusqu’à nos jours. Les interactions plantes-insectes sont primordiales dans l’équilibre des écosystèmes forestiers. Elles peuvent être mutuellement bénéfiques comme la pollinisation entomophile, ou au contraire être profitable uniquement à l’insecte, c’est le cas de l’herbivorie. C’est à aux traces de morsures, piqures ou sucions faites par les insectes sur les feuilles que les équipes de recherches s’intéressent. Ces traces s’observent de la même façon sur des feuilles d’espèces d’écosystèmes actuels ou des feuilles fossilisées depuis des millions d’années, témoins d’écosystèmes passés.

Le dernier article récemment publié par cette équipe de recherche dans la revue Royal Society Open Science, met en lumière un nouveau type d’herbivorie spécifique au genre de plante Parrotia. Les premières observations ont été réalisées sur les feuilles fossiles de Parrotia pristina en Europe, au sein du gisement de Willershausen (centre de l’Allemagne) âgé de 3 millions d’années. Bien que Parrotia pristina n’existe plus en Europe, il existe aujourd’hui une espèce moderne analogue, Parrotia persica, endémique de la forêt Hyrcanienne située au nord de l’Iran. Les recherches menées dans cette forêt ont permis de découvrir la même trace d’herbivorie, spécifique aux feuilles de Parrotia persica. Alors que le genre moderne Parrotia était considéré comme représenté par une espèce unique, une nouvelle espèce, Parrotia subaequalis, endémique de la Vallée de Yangtze à l’est de la Chine a été récemment décrite. Bien que ces arbres soient peu nombreux à l’heure actuelle, les recherches ont permis d’identifier cette même trace d’herbivorie. Enfin, comme pour les gisements fossiles européens, certains gisements asiatiques comptent aussi des feuilles fossiles du genre Parrotia. C’est le cas du gisement de Shanwang (âgé de 15 millions d’années) situé à l’est de la Chine. Les mêmes traces de morsures d’insectes, spécifiques aux feuilles fossiles de Parrotia, ont été identifiées. Ces découvertes aux quatre coins de l’Eurasie sont une preuve inédite et évocatrice d’une association entre a minima un insecte herbivore et une plante ayant survécu durant au moins les quinze derniers millions d’années. Malgré la migration des espèces, le morcellement des aires de distribution, la rétractation des écosystèmes, et plus globalement en dépit de profonds de changements climatiques, cette interaction a continué de fonctionner.

L’intégration de l’écologie des interactions à la paléoécologie devrait permettre de saisir avec plus d’acuité les changements paléoécosystémiques et la dynamique biogéographique et évolutive de la biodiversité.

planche
Planche photo de feuilles de Parrotia fossiles et actuelles comprenant la trace d’herbivorie (nommée DT297) spécifique à ce genre. A1-A6 : feuilles fossiles de Parrotia pristina, Willershausen, pliocène. B1-B2 : feuilles modernes de Parrotia persica de la forêt Hyrcanienne (nord de l’Iran). C1-C2 : feuilles modernes de Parrotia subaequalis de la forêt de Yixing (Vallée de Yangtze). D1-D4 :feuilles fossiles de Parrotia subaequalis, Shanwang, mi-Miocène. CC-BY licence 
illustration artistique de feuilles
Illustration artistique des feuilles de Parrotia persica (gauche) et Parrotia subaequalis (droite) avec la trace d’herbivorie spécifique au genre Parrotia. CC-BY licence

 

Objectifs de développement durable

PictODD

Objectif 13 - Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique

Caractériser afin d’anticiper les variations des interactions entre les organismes au sein des environnements terrestres, qui peuvent avoir des conséquences majeures sur l’équilibre des écosystèmes.

Référence

Adroit, B., Zhuang, X., Wappler, T., Terral, J.-F., Wang, B., 2020. A case of long-term herbivory: specialized feeding trace on Parrotia (Hamamelidaceae) plant species. Royal Society Open Science 7, 14.

Contact

Benjamin Adroit
Museum d'Histoire Naturelle de Stockholm, Suède
Jean-Frédéric Terral
Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / Université de Montpellier / EPHE / IRD)
Fadéla Tamoune
Communication - Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM - CNRS/Univ. Montpellier/IRD)