Une nouvelle méthode pour dater la succession des occupations humaines en grotte : application à la question de la contemporanéité entre Néandertal et Homo sapiens sapiens

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Une méthode pionnière, récemment publiée dans le Journal of Human Evolution, montre que les dépôts de suie préservés dans des concrétions calcaires, témoins de feux anthropiques passés dans les cavités, sont particulièrement adaptés à l’étude micro-chronologique des occupations humaines. C’est donc avec une très haute résolution temporelle (sub-annuelle à décennale), jusqu’alors inégalée pour le Paléolithique, que des chercheurs rattachés à plusieurs laboratoires français d’archéologie1  ont démontré qu’un très court laps de temps sépare les dernières occupations néandertaliennes des premières occupations d’Hommes modernes dans une grotte de la moyenne Vallée du Rhône.

Une étude pionnière des dépôts de suie piégés dans des encroûtements calcaires a récemment été conduite dans la Grotte Mandrin (Malataverne, Drôme), site de la moyenne Vallée du Rhône renfermant des niveaux archéologiques du Paléolithique moyen et du début du Paléolithique supérieur (d’~120 à 42 ka BP).

Des milliers de fragments clastiques encroûtés provenant de la desquamation des parois ont été repérés dès 2006 et systématiquement collectés pendant 11 ans dans l’ensemble des niveaux archéologiques de l'abri. À leur surface, des concrétions calcaires, sont parfois retrouvées. L'observation microscopique de ces croûtes a révélé qu'elles avaient enregistré et préservé la trace de nombreux dépôts de suie, qui se sont déposés sur les parois avant leur délitement progressif. En lame mince (Fig. 1), ceux-ci apparaissent sous la forme de films noirs successifs, de quelques microns d’épaisseur. Chaque film de suie observé témoigne au minimum d’une occupation par les sociétés préhistoriques. À partir de chaque concrétion fuligineuse, il est possible de reconstituer un fragment de la séquence de succession des films de suie, représenté sous la forme de schémas en code-barres (Fig. 2). Ces derniers sont ensuite mis en correspondance, les uns par rapport aux autres, afin de retracer la chronique complète des occupations humaines dans la cavité, et ce, pour chaque niveau archéologique identifié à la fouille (cf. Fig.2). À partir de ces chroniques, il est possible de compter le Nombre Minimum d’Occupations (NMO) et d’étudier la rythmicité des installations humaines sur le site.

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Fig.1 – Photographie d’un échantillon retrouvé dans le niveau B1 de la Grotte Mandrin, préparé en lame mince. a- lumière réfléchie (LR) ; b- lumière transmise polarisée analysée (LPA) ; c- LR+LPA. Noter la succession de multiples films de suie dans la concrétion calcaire pariétale. Crédit : Ségolène Vandevelde (image SIMO, MAE Nanterre)

L’étude démontre pour la première fois archéologiquement qu’un laps de temps très court, sub-annuel à décennal, sépare les dernières occupations néandertaliennes de l’arrivée des groupes d’Hommes modernes sur un territoire donné. À la Grotte Mandrin, le niveau B1 est attribué au Protoaurignacien, culture marquant l’arrivée d’Homo sapiens en Europe ; le niveau B2, sous-jacent, enregistre quant à lui les dernières occupations néandertaliennes, de même que le niveau B3. Le chevauchement partiel des trois chroniques s’explique du fait de la chute progressive des fragments de paroi dans les niveaux archéologiques : certains fragments retrouvés en B1 peuvent avoir enregistré des dépôts de suie correspondant aux installations humaines du niveau B2. L’inverse est impossible, puisque les fragments de paroi retrouvés en B2 sont déjà tombés sur le sol avant l’arrivée du groupe suivant (B1) ; les concrétions à leurs surfaces ne peuvent donc plus enregistrer de nouvelles traces de suie, qui se déposent sur les parois avant le délitement de ces dernières.

C’est donc sur la base de la reconstitution des chroniques d’occupations des trois niveaux archéologiques de l’unité sédimentaire B, qu’il a pu être montré que les installations humaines du niveau B1 (Homo sapiens) n’étaient séparées dans le temps de celles du niveau B2 (Néandertal) que par une durée maximale inférieure à une génération humaine, pouvant correspondre à quelques années, sinon quelques saisons ; ce qui n’exclut pas la rencontre physique directe de ces deux humanités au sein même de la Grotte Mandrin.

Sur ce site, la chronique des occupations de la couche B met en évidence des installations humaines régulières et répétées sans longues périodes d’interruptions entre elles, d’abord par l’Homme de Néandertal, puis par les Hommes modernes, ce qui indique la contemporanéité de ces deux humanités sur un même territoire à l’échelle d’une génération humaine.

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Fig.2 – Chronique des occupations humaines à la Grotte Mandrin, Couche B (Niveaux B1, B2 et B3).
Chaque trait sur les schémas en codes-barres correspond à un film de suie observé en section polie, correspondant lui-même au minimum à une occupation. Le nombre de films peut être augmenté lors du passage des sections polies aux lames minces, grâce auquel la résolution peut encore être affinée (étude en cours). Crédit : Ségolène Vandevelde

 

Les perspectives de recherche de la fuliginochronologie (étude de la succession des films de suie) sont diversifiées et permettent d'étudier de multiples aspects de la vie humaine passée et, dans ce cas précis, de repenser la transition entre Paléolithique moyen et Paléolithique supérieur avec une résolution temporelle inégalée. Cette méthode micro-chronologique présente un large domaine d’application tant chronologique que géographique.

Note

  1. Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn - CNRS/Univ Paris Nanterre/Univ Panthéon-Sorbonne/MCC) Équipe « Archéologies environnementales » ;  Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe-Afrique (LAMPEA - Univ Aix-Marseille/CNRS/MCC) ; Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES - CNRS/Univ Toulouse Jean Jaurès)

Références :

Vandevelde S, Brochier J É, Petit C, Slimak L. 2017. Establishment of occupation chronicles in Grotte Mandrin using sooted concretions: Rethinking the Middle to Upper Paleolithic transition. Journal of Human Evolution. 112, 70-78. https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2017.07.016

Vandevelde S, Dupuis C. 2017. Voyage au bout de la suie. Chroniques des occupations humaines à la Grotte Mandrin [Ashes to ashes, soot to soot. Human occupations chronicles at Grotte Mandrin site] [video]. in : Cleyet-Merle J, Shunkov M V. Le troisième Homme: Préhistoire de l'Altaï / The Third Man: The Prehistory of the Altaï, exposition temporaire [temporary exhibition]. https://halshs.archives-ouvertes.fr/medihal-01580618

Contact chercheure

Ségolène Vandevelde
Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn - CNRS/Univ Paris Nanterre/Univ Panthéon-Sorbonne/MCC)
segolene.vandevelde@univ-paris1.fr