Une fluorescence spectaculaire découverte chez de petites grenouilles brésiliennes

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

De nombreux animaux terrestres tels que les oiseaux, les caméléons, les grenouilles, les araignées, ou encore les scorpions sont fluorescents sous lumière ultra-violette (UV). Alors qu'une telle fluorescence provient généralement de la peau ou de l’exosquelette de ces animaux, une récente étude impliquant IPANEMA (CNRS/Ministère de la Culture/Univ Versailles Saint-Quentin/MNHN), le Centre de recherche en paléontologie (CNRS/MNHN/Sorbonne Univ) et le Laboratoire de biologie, bioingénierie et bioimagerie ostéo-articulaires (B3OA, CNRS/INSERM/Université Paris Diderot) dévoile une fluorescence spectaculaire des os chez de petites grenouilles brésiliennes, qui devient visible à travers leur peau. Cette publication met en avant une méthodologie innovante permettant de questionner la capacité des autres animaux de percevoir ce signal en condition naturelle et sa potentielle fonction.

Les grenouilles du genre Brachycephalus, plus communément appelées grenouilles « citrouille », sont minuscules, colorées et fortement toxiques. Durant la saison des amours, on peut les apercevoir de jour sur la litière de la forêt Atlantique brésilienne à la recherche d’un partenaire. En 2016, une équipe de recherche internationale menée par Sandra Goutte (NYU Abou Dabi) étudiait la communication acoustique de ces petits animaux. Lorsqu’ils découvrirent qu’elles étaient en fait sourdes à leurs propres chants, les scientifiques cherchèrent des signaux visuels que les grenouilles pourraient utiliser à la place de ces chants. À leur grande surprise, lorsqu’ils les éclairèrent avec une lampe émettant dans la gamme des ultra-violets (UV), le dos et le dessus de la tête des grenouilles s’illuminèrent.

 
Image de fluorescence en fausse couleur d’une grenouille « citrouille » (Brachycephalus ephippium) sous lumière UV (excitation 365nm).© Mathieu Thoury

Il s’est avéré que ces motifs fluorescents sont créés par des tissus osseux inhabituels qui forment des plaques sur le crâne et le dos sous une couche très fine d’épiderme. En réalité, le squelette tout entier est extrêmement fluorescent, mais cette fluorescence, générée avec une source UV, n’est visible qu’aux endroits où l’os est très proche de la surface. Avec des os de seulement un millimètre de diamètre, les spécimens ont dû être préparés avec des méthodes de pointe au Laboratoire de biologie, bioingénierie et bioimagerie ostéo-articulaires (B3OA, CNRS/INSERM/Université Paris Diderot) avant de pouvoir être analysés. Les échantillons ont été inclus dans une résine méthyle-méthacrylate, non fluorescente sous UV, puis découpés en lamelles de 100 µm d’épaisseur. L’absence de pigments de la peau et l’extrême finesse de la peau (environ 7 µm d’épaisseur aux endroits où la fluorescence est visible) permettent aux UV d’être transmis à travers la peau et de générer la fluorescence de l’os. Des structures d'une teinte blanche-bleutée deviennent alors remarquablement apparentes par l’observateur humain.   

Grenouille « citrouille » (Brachycephalus ephippium) sous lumière naturelle (gauche) et sous ultra-violet (droite). © Sandra Goutte

À partir de techniques d’imagerie de luminescence multi-spectrales développées pour l’étude de matériaux anciens par le laboratoire IPANEMA du CNRS, les chercheurs ont comparé les squelettes des deux espèces à une autre espèce brésilienne non fluorescente. Les os des grenouilles « citrouille » sont bien plus fluorescents que tous les os examinés auparavant. Ces dernières sont diurnes, et se pose alors la question de leur détection par d’autres animaux dans leur habitat naturel, dans lequel  la quantité d’UV composant le spectre est bien plus faible que sous une illumination UV artificielle. La fluorescence des structures osseuses pourrait par exemple permettre la communication ou le renforcement de leur coloration aposématique mettant en garde de potentiels prédateurs de la toxicité de la grenouille. La méthodologie mise en place révèle une contribution très faible de la fluorescence sur le signal total perçu en condition naturelle, non détectable par l’œil humain. Il est donc possible que cette fluorescence ne soit simplement qu’un épiphénomène remarquable. Des travaux complémentaires sur le comportement de ces grenouilles et de leurs potentiels prédateurs seront nécessaires pour déterminer la fonction, si elle existe, de cette fluorescence.

 

Référence :

 
Goutte S., Mason M.J., Antoniazzi M.M., Jared C., Merle D., Cazes L., Toledo L.F., el-Hafci H., Pallu S., Portier H., Schramm S., Gueriau P. & Thoury M.. Extraordinary bone fluorescence reveals hidden patterns in pumpkin toadlets. Scientific Reports. Available online 29 March 2019.

Contact

Mathieu Thoury
Institut photonique d'analyse non-destructive européen des matériaux anciens (IPANEMA - CNRS/Univ Versailles St-Quentin/MNHN/Ministère de la Culture)
Loïc Bertrand
IPANEMA