Prix des cadets 2020 décerné à Emmanuel Garnier pour son ouvrage L’Empire des sables

Large bande traversant l’Afrique d’ouest en est, de la Mauritanie à l’Érythrée, le Sahel est un espace de transition entre le désert du Sahara au nord et la savane soudanaise au sud. À l’intérieur de ce vaste territoire, la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina-Faso constituent un ensemble saharo-sahélien marqué par les conflits depuis des décennies. Des débuts de l’aventure coloniale dans cette région au XIX^e siècle jusqu’aux interventions actuelles pour aider à y endiguer le fléau du terrorisme islamiste, l’armée française est impliquée sur le terrain. C’est cette histoire longue de plus d’un siècle que propose d’aborder Emmanuel Garnier dans son livre L’empire des sables aussi bien sous les angles stratégique, environnemental, qu’anthropologique.

Au Sahel, l’auteur montre comment le fondamentalisme islamique, qui s’est développé dans les années 2000 dans cette région du monde à la faveur des décolonisations de l’ancienne Afrique occidentale française (AOF) puis de la création d’Etats nationaux largement artificiels, est la donnée récente d’un problème posé de longue date. Historiquement, le Sahel est peuplé de nomades et de sédentaires qui vivent sur le même territoire mais que rien ne rassemble. Issus de différentes ethnies, ces habitants composent un puzzle fragmenté dont les nouveaux États, nés des indépendances au cours du XX^e siècle et gérés par des ethnies sédentaires, ont souhaité assembler les pièces sous la tutelle d’un pouvoir centralisé. C’était sans compter sur le rejet de la part des peuples nomades d’une organisation mettant à mal leur autorité propre et reniant leur mode de vie traditionnel. Cette donnée est l’une des clés de compréhension historique des désordres actuels, que les méharistes, officiers de renseignement et médecins du « bout de la piste » détenaient, pour avoir appris sur le terrain à connaître les nomades et les oasiens, à mesurer la complexité des situations et leurs enjeux. Témoignant de tous les événements passés avec une homogénéité et une continuité exceptionnelles depuis le milieu du XIX^e siècle jusqu’aux années 1960, leurs écrits racontent les racines de la montée du radicalisme religieux et des conflits entre communautés d’aujourd’hui, provoquant la rupture des équilibres régionaux et l’essor de la violence. En interrogeant cette mémoire archivée, l’auteur poursuit un objectif essentiel : faire comprendre l’importance de l’expérience historique pour aborder le présent de façon éclairée. L’historien Marc Bloch ne déclarait-il pas d’ailleurs que « l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du passé ; elle compromet, dans le présent, l’action même » ?

Source : Journal En Direct (Université de Franche-Comté)