Pollution : les effets paradoxaux des composés perfluorés sur un goéland de l’Arctique

Résultats scientifiques

Les molécules chimiques PFAS, également surnommées polluants perfluorés ou polluants éternels, font partie de notre quotidien. Il a été montré depuis les années 2000 que ces éléments contaminent les écosystèmes, et ce même dans des zones très éloignées des activités humaines, telles que les régions Arctiques. Or, une étude du Centre d'études biologiques de Chizé et de ses partenaires norvégiens a montré que l’exposition à ces polluants est associée à une plus faible érosion des télomères et à une survie accrue chez un oiseau marin de cette zone. Ces résultats surprenants ont été publiés dans Environmental Science and Technology en juillet 2020. Cette étude est la première à faire le lien entre les télomères, mécanisme majeur du vieillissement, la longévité et la contamination par ces polluants, de plus en plus présents en Arctique.

Les Substances Poly- et Perfluoroalkylées (PFAS) regroupent plus de 4700 molécules chimiques synthétisées par l’homme. Leurs propriétés tensio-actives expliquent leur présence dans nombre de produits de la vie courante : poêles anti-adhésives, agents imperméabilisants, vêtements « outdoor », certains emballages alimentaires et mousses anti-incendie. Ces molécules sont commercialisées depuis le début des années 1950, mais il faut attendre les années 2000, et le développement des techniques analytiques, pour se rendre compte de la contamination globale des écosystèmes par les PFAS, y compris dans des zones éloignées des activités humaines. Extrêmement persistants, ces « polluants éternels » sont en effet de grands voyageurs et gagnent les régions Arctiques, où ils s’accumulent dans le sang des oiseaux et mammifères marins à des concentrations parfois ahurissantes. Mais quels sont les effets de ces PFAS pour la faune polaire ? Avec le soutien de l’Institut Polaire Français (IPEV), des chercheurs du Centre d'Etudes Biologiques de Chizé (CEBC, CNRS/Université de La Rochelle) et leurs collègues norvégiens se sont intéressés aux télomères, séquences d'ADN répétitives situées à l’extrémité des chromosomes et qui sont destinées à préserver l'intégrité du patrimoine génétique. Avec le temps, à chaque division cellulaire, les extrémités des télomères deviennent plus courtes. Cette érosion des télomères, considérée comme un mécanisme majeur du vieillissement, est accélérée par de multiples sources de stress, dont la pollution.

Au Svalbard, dans l’Arctique norvégien, les chercheurs ont effectué des prises de sang sur une population de goélands bourgmestres, fortement contaminés par les PFAS. En suivant les mêmes individus chaque année pendant 10 ans, il a été possible de mesurer les changements dans la taille de leurs télomères, en fonction des concentrations sanguines de PFAS. Il apparait que non seulement les individus contaminés par les PFAS présentent une moindre érosion de leurs télomères, mais que pour les goélands les plus pollués, on assiste même à un rallongement de la longueur des télomères ! Cette étude met également en évidence qu’au sein des 9 PFAS étudiés, ce sont les acides carboxyliques perfluorés à longue chaines carbonées qui ont le plus d’impacts. Autre résultat inattendu : le suivi à long-terme des goélands bagués montre que les individus les plus contaminés par les PFAS ont une meilleure survie d’une année à l’autre !

goeland
Le goéland bourgmestre, grand prédateur d’œufs et de poussins dans l’Arctique, est également un charognard qui profite régulièrement des restes de la chasse des ours polaires. Situé à un niveau trophique élevé, il accumule des concentrations spectaculaires d’une multitude de polluants organiques historiques tels que les pesticides organochlorés, les PCB mais aussi des polluants de plus en plus préoccupants :  Les Substances Poly- et Perfluoroalkylées (PFAS). Cet oiseau marin qui niche sur des îlots à proximité de la base scientifique internationale de Ny Ålesund, fait l’objet d’un suivi par baguage depuis une dizaine d’années, ce qui permet de mesurer l’impact des polluants sur les paramètres démographiques. © Geir Wing Gabrielsen, Norwegian Polar Institute

Ces résultats surprenants posent la question des mécanismes impliqués : sélection des meilleurs individus, capables de résister aux PFAS ? Stimulation par les PFAS de l’activité de la télomérase, enzyme permettant de maintenir la taille des télomères division après division ? Cette étude et d’autres travaux menés par le CEBC et ses collaborateurs, suggère donc une nouvelle fois qu’en comparaison avec d’autres contaminants historiques (PCB, pesticides organochlorés, toujours bien présents chez les oiseaux polaires), les PFAS peuvent souvent agir de manière différente et souvent inverse sur la physiologie et le comportement. D’autres études sont clairement nécessaires pour appréhender l’impact global, pour la faune sauvage de l’exposition aux Substances Poly- et Perfluoroalkylées, dont seulement deux composés sur les milliers répertoriés sont inclus dans la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, accord international visant à interdire certains produits polluants.

Objectifs du développement durable (ODD)

Référence

Exposure to PFAS is associated with telomere length dynamics and demographic responses of an arctic top predator. Manrico Sebastiano, Frédéric Angelier, Pierre Blévina, Cécile Ribout, Kjetil Sagerup, Sébastien Descamps, Dorte Herzke, Børge Moe, Christophe Barbraud, Jan Ove Bustnes, Geir Wing Gabrielsen, Olivier Chastel publié dans Environmental Science and Technology 

Contact

Manrico Sebastiano
Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/Univ. La Rochelle)
Olivier Chastel
Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/Univ. La Rochelle)
Bruno Michaud
Communication -Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/La Rochelle Université)