Perte de biodiversité et croissance économique : quelles politiques ?

Résultats scientifiques

De plus en plus de travaux suggèrent une incompatibilité entre croissance économique et conservation de la biodiversité. Et pourtant, la revue que publie dans Conservation Letters une équipe internationale couvrant un vaste éventail de disciplines, de régions et d’institutions, et à laquelle le Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / Univ. Montpellier / Univ Paul Valéry Montpellier / EPHE / IRD) a pris part, révèle que les politiques internationales en vue de juguler l’érosion de la biodiversité s’appuient toutes sur des scénarios de croissance. Les auteurs analysent cette contradiction et recommandent d’explorer des trajectoires socio-économiques affranchies de l’injonction de croissance et compatibles avec les objectifs de préservation de la biodiversité.

Les sciences de la conservation ont fréquemment souligné le lien entre paradigme de croissance et perte de biodiversité, et la nécessité de politiques plus focalisées sur le bien-être que sur la croissance économique. Paradoxalement, toutes les politiques centrées sur la préservation de la biodiversité considèrent la croissance économique comme une condition nécessaire.

La synthèse des connaissances sur les liens entre croissance économique et biodiversité confirme le rôle de trois facteurs d’érosion de la biodiversité liés à la croissance :

  • le changement d’utilisation des terres, caractérisé par un accroissement de plus de 80 % des terres cultivées au cours du 20e siècle ;
  • l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre et ses effets sur le climat planétaire, en synergie avec les autres facteurs d’érosion ;
  • enfin, l’intensification des flux internationaux, source d’échanges de faunes et de flores potentiellement dommageables à la biodiversité.

Pourtant, 28 politiques internationales en faveur de la biodiversité avaient été produites sous l’égide des Nations Unies entre 1972 et 2016. Mais leur analyse, réalisée par les auteurs de ces travaux et publiée dans Conservation Letters, révèle que ces politiques reposaient toutes sur des scénarios de croissance jugés indispensables pour lutter contre la pauvreté et pour la prospérité. L’idée d’une compatibilité entre croissance et préservation de la biodiversité s’appuie sur l’hypothèse d’un découplage possible entre croissance économique et perte de biodiversité via une meilleure efficacité dans l’utilisation des ressources. L’analyse de la littérature suggère toutefois qu’un tel découplage n’a jamais pu être réalisé et que, dans les conditions socio-économiques actuelles, une économie en croissance entrainait nécessairement une augmentation et une intensification de l’utilisation des terres et des émissions.

Des recherches de plus en plus riches s’intéressent aux modalités d’une « décroissance prospère » pour les humains, et favorable à la biodiversité. Ces écoles de pensées se concentrent sur la définition de limites à ne pas dépasser dans l’usage des ressources ou de l’espace, et sur la relocalisation des économies. Leur réflexion s’intéresse à la manière de respecter ces limites plutôt qu’à la manière de s’en affranchir. Elles explorent comment promouvoir un ralentissement économique qui soit source d’effets positifs sur l’emploi, la santé, l’éducation et le bien-être. Ces propositions n’ont guère fait l’objet de tests grandeur nature mais constituent un terreau fertile de recherche.

Les auteurs proposent, comme un premier pas, de remplacer dans les négociations internationales le présupposé favorable à la croissance par une reconnaissance explicite des problèmes que la croissance pose au maintien de la biodiversité. Ils citent les progrès faits en ce sens dans le rapport d'évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques publié en 2019 par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Pour aller plus loin, les auteurs proposent d’intégrer aux scénarios de l’IPBES un scénario de trajectoire socio-économique partagé (SSP) qui prendrait en compte l’hypothèse d’une croissance faible, nulle ou négative (SSP0) avec des effets positifs sur la prospérité, le bien-être social et la biodiversité.

Référence

Otero I., Farrell K.N., Pueyo S., Kallis G., Kehoe L., Haberl H., Plutzar C., Hobson P., García-Márquez J., Rodríguez-Labajos B., Martin J.L., Erb K.H., Schindler S., Nielsen J., Skorin T., Settele J., Essl F., Gómez-Baggethun E., Brotons L., Rabitsch W., Schneider F., Pe'er G. Sous presse. Biodiversity Policy beyond Economic Growth. Conservation Letters

Contact

Jean-Louis Martin
entre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE - CNRS / Univ Montpellier / Univ Paul Valéry Montpellier / EPHE / IRD / L'institut Agro / INRAE)
Nathalie Vergne
Communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD)