Les poux plongeurs, des insectes marins ?
Jusqu’à aujourd’hui, environ 1 million d'espèces d’insectes ont été décrites, et beaucoup plus sont en attente d’être découvertes. Or, les océans, qui constituent 71 % de la surface et 99 % de la biosphère de la planète, sont virtuellement dépourvus d'insectes. Seules certaines espèces glissent sur leur surface et quelques autres se baladent dans la zone de marée, mais aucune ne plonge régulièrement sous les vagues. Une récente étude publiée dans la revue Journal of Experimental Biology dément cette idée : des équipes de recherche issues de l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte à Tours (IRBI – CNRS / Université de Tours) et du CENPAT en Argentine ont en effet montré que des poux parasitant certains mammifères marins sont capables de supporter les conditions extrêmes dans lesquelles vivent leurs hôtes.
Deux équipes de recherche, une de l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte à Tours (IRBI – CNRS / Université de Tours) et une autre au CENPAT en Argentine s’intéressent depuis quelques années à la biologie d’un petit groupe d’insectes bien particulier et très peu étudié. Il s’agit des poux qui parasitent des pinnipèdes, mammifères marins semi-aquatiques comme les lions et les éléphants de mer, des animaux habitués à faire des excursions en haute mer de longue durée (semaines ou mois), marquées par des plongées pouvant atteindre jusqu’à 2 500 mètres de profondeur.
Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que ces insectes seraient incapables de supporter les promenades marines et les plongées de leurs hôtes. On pensait plutôt que les poux resteraient associés aux otaries uniquement pendant qu’elles procréent sur la terre ferme, et les abandonneraient ou mourraient lors que leurs hôtes regagnent à nouveau la mer. De nouvelles investigations montrent cependant que non seulement les poux peuvent accompagner leurs hôtes pendant leurs longues excusions en mer, mais aussi qu’ils sont capables de supporter les conditions extrêmes qui leur sont imposées par la biologie des pinnipèdes.
La collaboration entre les équipes de Tours et en Patagonie avait d’abord démontré que les poux, qui normalement respirent l’air atmosphérique, supportent des semaines d’immersion totale dans l’eau, en réduisant leurs dépenses énergétiques. Pour l’étude qui vient de paraître dans Journal of Experimental Biology, les chercheurs ont simulé en laboratoire des conditions de haute pression hydrostatique équivalentes à des plongés de plus de 2 000 mètres de profondeur, en ligne avec les performances de plongée extrêmes de leurs hôtes, et même au-delà (jusqu’à 4 500 mètres). Les poux ont passé l’épreuve sans encombre, et une fois retournés à des conditions atmosphériques, ont récupéré leur activité normale.
Aucun autre insecte connu n’est capable d’une telle endurance. Les poux des mammifères marins amphibies montrent bien que l’absence d’insectes dans les océans n’est pas due à des contraintes propres à leur organisation corporelle ou à leur physiologie. Or, l’histoire évolutive de seulement quelques espèces a favorisé le développent des adaptations nécessaires pour le faire. La coévolution entre les hôtes et leurs ectoparasites a donné lieu à des associations hautement spécifiques (une espèce d’otarie/une espèce de poux), qui a abouti à une adaptation complète des ces petits insectes à la biologie des pinnipèdes durant 40 millions d’années de vie ensemble.
Le prochain défi des chercheurs est de décrypter les adaptations morphologiques, physiologiques et comportementales qui permettent à ce groupe d’insectes de faire face au manque d’oxygène, la salinité importante, les basses températures et des énormes variations rapides de pression hydrostatique auxquelles ils sont exposés.
Objectifs de développement durable (ODD)
ODD 13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
ODD 14 : Vie aquatique
Le travail contribue à la compréhension des interactions entre organismes marins, notamment une espèce protégée et sensible aux changements climatiques.
Références
Leonardi M.S., Crespo J.E., Soto F.A., Vera R.B., Rua J.C. & Lazzari C.R. (2020) Under pressure: the extraordinary survival of seal lice in the depth of the sea. Journal of Experimental Biology: jeb.226811 doi: 10.1242/jeb.226811 Published 17 July 2020