A la veille de l’hiver… un point sur l’érosion des plages bretonnes
A l’approche de l’hiver et de son lot de tempêtes, la question de l’érosion du littoral est d’actualité. Une étude menée en Bretagne, la première de ce genre dans cette région, fait la synthèse des observations réalisées par les scientifiques sur l’érosion des plages. A partir de différentes campagnes de photographies aériennes de l’IGN, ces derniers ont mesuré le recul ou l’avancée du trait de côte au cours des 60 dernières années sur 335 km de côte. Les conclusions : 35 % du linéaire étudié est en situation d’érosion. Cette recherche devrait permettre une meilleure gestion des côtes bretonnes, en particulier dans le contexte actuel de dérèglement climatique associé à l’élévation du niveau de la mer et un renforcement probable du régime des tempêtes. Elle a été réalisée par les géographes du laboratoire LETG et les géologues du laboratoire LGO et est parue dans la revue scientifique Journal of Coastal Research.
Les littoraux de Bretagne sont soumis à un phénomène d’érosion qui se manifeste généralement à l’occasion des tempêtes hivernales et se traduit par un recul du trait de côte. Au sein de l’Institut Universitaire Européen de la Mer à Plouzané, les géographes du laboratoire LETG mènent en collaboration avec les géologues du laboratoire LGO des suivis réguliers de ces changements le long des côtes. Le plus souvent, ils concentrent leurs efforts sur quelques sites ateliers et alimentent, depuis une quinzaine d’années, de longues séries de données qui permettent d’analyser les variabilités spatiale et temporelle des changements morphologiques du littoral. Ces observations ponctuelles forment, à l’échelle nationale, le Service National d'Observation (SNO) DYNALIT, labellisé par le CNRS INSU et désormais intégré à l’Infrastructure de Recherche littorale et côtière ILICO.
Jusqu’à présent, nous ne disposions pas d’une vision globale du phénomène d’érosion sur l’ensemble des plages bretonnes. L’étude parue dans la revue scientifique Journal of Coastal Research vient combler ce manque en analysant les changements du trait de côte le long des 652 plages de Bretagne et en faisant la synthèse des données acquises dans le cadre des suivis réalisés par les scientifiques. Pour réaliser cette synthèse, les différentes missions de photographies aériennes prises par l’IGN ont été utilisées. La position du trait de côte entre des photos anciennes (datant des années 50) et des missions récentes datant des années 2010 a été comparée le long d’un linéaire côtier de 335 km. Pour chaque plage, le recul ou l’avancée du rivage a été estimé entre ces deux périodes, à raison d’une mesure tous les 10 m.
Les résultats obtenus indiquent qu’un peu plus d’un tiers de ce linéaire (35%) est en érosion. Par endroit, le trait de côte a reculé de façon spectaculaire. Le littoral de la Baie d’Audierne, par exemple, a enregistré un recul de 60 m en moyenne entre 1952 et 2009. Une forte proportion de côte (38%) est restée très stable. Cela concerne le plus souvent les petites plages « de poche » encadrées de part et d’autre par des pointes rocheuses qui limitent les transferts de sédiments marins. Enfin, près d’un quart des plages (27%) a connu une avancée du trait de côte. Ces plages sont souvent situées à l’embouchure des petits estuaires et fleuves côtiers qui laissent penser que ces derniers apportent encore des sables à la côte. Les flèches littorales, comme celle du Sillon de Talbert dans les Côtes d’Armor, apparaissent comme les plus sensibles à l’érosion. Cela s’explique en partie par des causes naturelles, notamment un épuisement progressif des stocks de sédiments marins au fil des siècles. Mais souvent, cette situation a été aggravée par des actions humaines, des aménagements côtiers et des prélèvements massifs de sables et de galets sur les côtes, en particulier lors de la seconde guerre mondiale et dans les décennies qui ont suivi.
Cette étude s’est également penchée sur l’impact des tempêtes et a mis en évidence le rôle important des vagues, mais aussi des marées, dans les épisodes d’érosion. En effet, c’est principalement lors de la conjonction d’une tempête avec un grand coefficient de marée que se produisent les reculs les plus forts. En travaillant sur de longues séries de données météorologiques et marégraphiques couvrant les 70 dernières années, 5 périodes érosives ont été identifiées le long des côtes bretonnes : la dernière en date étant centrée sur les premiers mois de l’hiver 2014. Les relevés topo-morphologiques réalisés au drone et au GPS différentiel durant cette période font état de recul de 14 m le long de certains cordons dunaires, avec un record régional pour le Sillon de Talbert (30 m de recul à l’occasion de trois tempêtes seulement).
Ces résultats permettent d’apporter des ordres de grandeur sur l’ampleur des changements causés par les événements extrêmes. Les mesures réalisées après les épisodes d’érosion sont tout aussi importantes pour estimer le temps de récupération des plages (résilience). Sur certains sites d’étude, les suivis indiquent que la plage a recouvré 80 % de son volume initial en seulement quelques jours. Ces résultats doivent donc être pris en compte dans les mesures de gestion de l’érosion à l’échelle régionale.
Tandis que le dernier rapport du GIEC sur l’avenir des océans prévoit une hausse importante du niveau de la mer dans les décennies à venir, compris entre 40 cm et 1,1 m selon les scénarios à l’horizon 2100, on peut raisonnablement penser que la proportion de plages bretonnes en érosion va augmenter dans les années à venir. La question est désormais de savoir comment et à quelle vitesse les sociétés côtières vont s’adapter à cette situation.
Référence
Stéphan P., Blaise E., Suanez S., Fichaut B., Floc’h F., Cuq V., Le Dantec N., Ammann J., David L., Delacourt C. Long, Medium to Short-Term Shoreline Dynamic of Brittany Coast (Western France). J Coast Res. 2019; SI 88; in press