La migration des oiseaux bouleversée par les changements climatiques ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste du globe et, dès 2050, l’océan arctique sera totalement libre de glace à la fin de chaque été. Quelle sera l’incidence de cette transformation géographique sur la migration des oiseaux ? Les travaux d’une équipe du CNRS, réalisés en collaboration avec l’Université du Wisconsin et l’Institut polaire norvégien, et publiés dans la revue Scientific Reports, indiquent que les voies migratoires pourraient en être renversées.

Plus de 300 espèces d’oiseaux migrateurs se reproduisent en Arctique pendant la période estivale avant de migrer vers le Sud pour passer l’hiver dans des conditions moins rudes. L’environnement contraint fortement les voies migratoires empruntées, et la banquise qui recouvre le pôle nord constitue une barrière à la migration : les oiseaux ne franchissent pas cette étendue glacée. Or, cette barrière fond et à partir de 2050, à la fin de chaque été, l’océan arctique sera libre de glace.

oiseau

© Bénédicte Martin

Les chercheurs se sont interrogés sur la capacité des oiseaux migrateurs à traverser un océan arctique dépourvu de banquise, ainsi que sur la possibilité pour certaines espèces de demeurer toute l’année à haute latitude, suite au réchauffement de l’Arctique.

Sur la base de leurs morphologies et de leurs performances physiologiques, ils ont identifié 29 espèces migratrices susceptibles de réaliser un vol trans-Arctique et 24 capables d’endurer la nuit polaire. Parmi elles, on retrouve le plus petit (150g), et le plus abondant (60 millions d’individus) des oiseaux marins de l’Atlantique Nord, le mergule nain (Alle alle). Cet oiseau niche généralement au Groenland mais aussi au Svalbard et en Russie, et passe actuellement l’hiver plus au Sud, dans l’océan Atlantique, notamment au large de Terre-Neuve.  Au regard de son importance écologique majeure en Arctique, les chercheurs ont décidé d’effectuer une analyse approfondie des migrations présentes et futures des mergules nains dans le contexte des changements climatiques.

Ceci a permis de cartographier les habitats marins et terrestres favorables aux mergules nains, dans le présent et en 2050. Ces habitats propices à la migration et à la reproduction seront maintenus en Atlantique Nord dans les décennies à venir, mais les analyses en ont identifiés tout autour du bassin arctique, et ce, jusque dans le Pacifique. Des zones d’hivernage propices attendent donc les mergules de l’autre côté de l’océan arctique, qui leur suffira de traverser une fois celui-ci libéré de ses glaces.

Cependant, cela semble un bien long voyage pour des petits oiseaux venus de l’Atlantique Nord (plus de 5000 km). Les chercheurs ont donc utilisé des modèles bioénergétiques afin d’estimer les dépenses énergétiques des mergules du futur en fonction de leurs stratégies migratoires. De manière étonnante, les simulations suggèrent que les mergules qui migreront de l’Atlantique vers le Pacifique dépenserons beaucoup moins d’énergie que s’ils conservaient leurs voies migratoires actuelles dans l’Atlantique ou que s’ils restaient tout l’hiver en Atlantique Nord, par exemple en mer des Barents. Ceci est potentiellement dû à des conditions hivernales relativement clémentes dans le nord du Pacifique.

Cette étude pionnière suggère un chamboulement majeur des voies migratoires des oiseaux en Arctique suite au réchauffement de la planète, mais aussi à l’échelle mondiale. Elle espère motiver d’autres équipes à effectuer des études similaires en proposant un cadre méthodologique transposable à toutes les zones de la planète.

Référence

Clairbaux M, Fort J, Mathewson P, Porter W, Strøm H, Grémillet D. Climate change could overturn bird migration : Transarctic flights and high-latitude residency in a sea ice free Arctic. Sci Rep. 2019;9(17767):1–13.

Contact

Manon Clairbaux
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD)
David Grémillet
Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/Univ. La Rochelle)
Nathalie Vergne
Communication - Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ Montpellier/ Univ Paul Valery Montpellier/ EPHE/IRD)