iEcology : que peut nous apprendre le monde en ligne sur le monde naturel ?

Résultats scientifiques

Un nombre croissant de nos interactions entre nous et avec notre environnement se manifeste dans le domaine numérique. Il peut s’agir de nos publications sur les médias sociaux, de modèles de moteurs de recherche sur Internet ou de visites à différentes pages web. Bien que nous puissions souvent penser que la culture technologique d’aujourd’hui nous éloigne généralement de la nature, on peut trouver de tout nouveaux renseignements sur les animaux et les plantes dans ces vastes données en ligne en constante expansion. Parmi ceux-ci, des données qui ne sont pas délibérément recueillies pour élargir nos connaissances écologiques, mais plutôt un sous-produit issu de notre besoin d’enregistrer nos vies, et essentiellement rester constamment connectés. Une production en quelque sorte liée à la nature, et qui constitue une nouvelle source d’information inattendue pour les écologues. Dans un article publié le 10 avril 2020 dans la revue Trends in Ecology & Evolution, un groupe de chercheurs internationaux dont Dr Franck Courchamp, Directeur de Recherche CNRS à l’Université Paris Saclay au sein du laboratoire Ecologie Systématique Evolution (ESE - CNRS / Université Paris Saclay / AgroParisTech), a exploré ces options dans un nouveau domaine qu’ils appellent iEcology. Leur étude a cartographié ce nouveau domaine, ses possibilités, ses défis et ses orientations futures potentielles.

Fait important, les chercheurs décrivent iEcology comme « l’étude des modèles et des processus écologiques à l’aide de données en ligne générées à d’autres fins et stockées numériquement ». Plusieurs exemples mettent déjà en évidence le grand potentiel de telles approches pour accroître notre connaissance du monde naturel. Par exemple, l’exploration de la dynamique saisonnière du moment où les gens cherchent des espèces particulières dans Wikipedia peut mettre en évidence la véritable dynamique saisonnière des espèces. Une autre étude a analysé des photos en ligne (publiées par des internautes) d’oiseaux pique-bœuf et des divers herbivores sur lesquels ils se posent, ce qui a éclairé les interactions entre ces groupes d’espèces. Dans un autre exemple, une analyse des images vidéo du Tour-de-Flandre des 35 dernières années a permis de mettre en évidence les changements dans les périodes de feuillage et de floraison des arbres trouvés en arrière-plan des images.

Dr. Ivan Jarić (du Biology Centre of the Czech Academy of Sciences), l’auteur principal de la nouvelle étude, est très enthousiaste au sujet du potentiel de l’iEcologie. D’après lui, les gens sont préoccupés par notre besoin constant d’être connectés, et par l’abus potentiel de ces données en ligne. Cependant, avec iEcology, les chercheurs soulignent le bon côté de ce « déluge de données ». Il est maintenant possible d’en apprendre beaucoup sur l’endroit où vivent les espèces, quand elles sont actives de manières différentes et comment elles interagissent entre elles et avec leur environnement. L’iEcologie n’est pas considérée comme un substitut à l’écologie classique et de terrain très importante – mais plutôt comme un complément à celle-ci.

Selon Franck Courchamp, comme pour le monde naturel, il y a d’énormes quantités de données qui s’accumulent en permanence sur le net, et les chercheurs commencent seulement à en percevoir le potentiel, aussi vaste que varié. Alors que les algorithmes de recherche, de calculs et d’analyses sont de plus en plus performants, la seule limite semble être la créativité des chercheurs pour détourner les données existantes en source d’information supplémentaire sur le fonctionnement de la nature. Or, d’après lui, les écologues ne manquent pas de créativité.

D’après le Dr. Uri Roll (de l’Université Ben-Gurion du Néguev), un autre auteur de cet article, de telles approches présentent un grand potentiel de conservation. Des populations et des espèces entières d’animaux et de plantes disparaissent sous nos yeux à un rythme sans précédent. Dans bien des cas, avant même qu’elles puissent être enregistrées. Les scientifiques ont besoin de toute l’aide à disposition pour acquérir des connaissances écologiques et mieux comprendre comment nous affectons l’environnement. iEcology promet de les aider sur tous ces fronts.

Représentation conceptuelle de l’iEcologie
Représentation conceptuelle de l’iEcologie - montrant comment les types de données clés peuvent se transformer en connaissance du monde naturel à l’aide d’un ensemble d’outils de recherche qui, à leur tour, peuvent fournir de nouvelles perspectives écologiques.
Haut niveau de corrélation observé pour le taux de rencontre de la gélinotte huppée et la répartition spatiale de l’intérêt sociétal
Haut niveau de corrélation observé pour le taux de rencontre de la gélinotte huppée et la répartition spatiale de l’intérêt sociétal, selon Google Trends [Schuetz et Johnston 2019. PNAS 116:10868-73]; (Crédit photo : dfaulder).
La popularité du saumon rouge (rouge) et du saumon de l’Atlantique (bleu) selon les pageviews de Wikipedia reflète leurs tendances de migration saisonnière
La popularité du saumon rouge (rouge) et du saumon de l’Atlantique (bleu) selon les pageviews de Wikipedia reflète leurs tendances de migration saisonnière [Mittermeier et al. 2019. Plos Biol 17:e3000146]; (Crédits photos : Oregon State University, USFWS Northeast Region).
La distribution de charognes et de corneilles à capuchon en Europe, indiquée par Google Images, correspond bien à leur distribution réelle et aux zones hybrides
La distribution de charognes et de corneilles à capuchon en Europe, indiquée par Google Images, correspond bien à leur distribution réelle et aux zones hybrides
Réseaux quantitatifs d’association d’oiseaux et de mammifères pour les espèces à pique-bœuf et sans pique-bœuf chez les oiseaux africains et les mammifères herbivores révélés par l’analyse de Google Images
Réseaux quantitatifs d’association d’oiseaux et de mammifères pour les espèces à pique-bœuf et sans pique-bœuf chez les oiseaux africains et les mammifères herbivores révélés par l’analyse de Google Images [Mikula et al. 2018. Peerj 6:e4520]; (Crédits photos : Charles J. Sharp, Derek Keats).
La visualisation en réseau du comportement des écureuils roux (à gauche) et gris (à droite) évalués par des vidéos sur Youtube
La visualisation en réseau du comportement des écureuils roux (à gauche) et gris (à droite) évalués par des vidéos sur Youtube [Jagiello et al. 2019. Ecol Inform 51:52-60]; (Crédits photos : Evas-naturfotografie, Birdphotos).
Changements phénologiques de la végétation en réponse au changement climatique identifiés par des vidéos d’archives de la course cycliste du Tour des Flandres
Changements phénologiques de la végétation en réponse au changement climatique identifiés par des vidéos d’archives de la course cycliste du Tour des Flandres [De Frenne et al. 2018. Méthodes Ecol Evol 9:1874-1882]; (Crédit photo : s.yuki).

 

Site dédié à l'étude

Référence

Ivan Jari─ç, Ricardo A. Correia, Barry W. Brook, Jessie C. Buettel, Franck Courchamp, Enrico Di Minin, Josh A. Firth, Kevin J. Gaston, Paul Jepson, Gregor Kalinkat, Richard Ladle, Andrea Soriano-Redondo, Allan T. Souza, Uri Roll. 2020. iEcology: Harnessing Large Online Resources to Generate Ecological Insights, Trends in Ecology & Evolution, ISSN 0169-5347 doi.org/10.1016/j.tree.2020.03.003.

Contact

Franck Courchamp
Laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE - CNRS / Université Paris-Saclay / AgroParisTech)