Disparition du plus grand glacier français d’ici 2100 aux Kerguelen

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

La calotte Cook, plus grand glacier français situé sur les îles subantarctiques des Kerguelen (49°S, 69°E), a connu un retrait récent marqué. La poursuite de la déglaciation pourrait avoir des impacts importants sur la faune et la flore endémiques et invasives de cet espace récemment classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Une étude publiée dans la revue Antarctic Science, menée par un collectif de chercheurs issus notamment du Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP – CNRS / Univ. Panthéon-Sorbonne / Univ. Paris-Est Créteil Val-de-Marne), du Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE – CNRS / INRAE / Aix-Marseille Univ. / IRD), du Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS – CNRS / Univ. Toulouse Paul Sabatier / CNES / IRD), de l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE – CNRS / IRD / Univ. Grenoble Alpes) et le Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (PRODIG – CNRS / Univ. Panthéon-Sorbonne / IRD / Agroparistech / Univ. de Paris) et financée par le programme LabEx DynamiTe (ANR-11-LABX-0046) Les Envahisseurs, indique que ce retrait glaciaire devrait se poursuivre. Combinant modélisation glaciologique, datation de moraines à l'aide des isotopes cosmogéniques, documents historiques et observations directes, l’étude géomorphologique et glaciologique révèle une disparition totale probable de la calotte à l’horizon 2100. La calotte constituant la dernière barrière naturelle contre les espèces invasives, cette disparition aura de fortes implications pour la faune et la flore endémique de l’archipel.

Les Îles Kerguelen, Terres Australes et Antarctiques françaises récemment inscrites au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, comportent la plus grande surface englacée française, la calotte Cook, d’environ 400 km², située sur la partie occidentale de l’archipel. Le glacier Ampère, émissaire de la calotte et plus long glacier français, a été suivi dans les années 1970 et à nouveau entre 2010 et 2013 grâce à l’implantation de balises glaciologiques renseignant sur son état de santé (Fig. 1). Ces études ont révélé un retrait glaciaire marqué depuis les années 1970, l’un des plus forts au monde sur la période 2000-2010.

img terrain Kerguelen
Fig. 1. Différentes photographies prises à proximité de la calotte Cook. a) le glacier Ampère (Photo : Adrien Gilbert), b) échantillonnage sur un bloc morainique (Photo : Vincent Jomelli), c) mesures GPS et balise d’ablation sur le glacier Ampère (Photo : Adrien Gilbert), d) le Chou de Kerguelen (Photo : Deborah Verfaillie), e) un renne à proximité de la calotte Cook (Photo : Fabien Egal, Institut Polaire Français IPEV).

En outre, les Îles Kerguelen sont connues pour abriter diverses plantes endémiques, comme le chou de Kerguelen (Pringlea antiscorbutica, Fig. 1), ainsi qu'une faune d'une richesse mondialement reconnue. Kerguelen abrite la plus grande population de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) au monde (plus de 100 000 couples), l'une des plus grandes colonies de grands albatros (Diomedea exulans) et d'autres oiseaux de la région australe, ainsi qu'un très grand nombre d'otaries à fourrure et d'éléphants de mer. Ces populations de plantes et d'animaux extraordinaires ont motivé la création de réserves naturelles strictes et semi-strictes et, à plus grande échelle, la création prochaine d'un parc national pour la conservation de ces espèces rares ou endémiques, et hautement vulnérables. Malheureusement, l'archipel a été envahi par un grand nombre d'espèces invasives à développement rapide (lapins, rats, rennes, pissenlit, etc., Fig. 1), dont la plupart ont été introduites au cours du siècle dernier. Les glaciers, qui recouvrent encore la quasi-totalité de la partie ouest de l’archipel, constituent aujourd’hui la dernière ''barrière'' naturelle contre la colonisation de la partie sud-ouest de l'archipel (Péninsule Rallier du Baty) par ces espèces invasives. Le récent retrait des glaciers des Kerguelen implique l'ouverture de nouvelles zones exposées pour la colonisation d'espèces endémiques et invasives. Mais les espèces endémiques seront-elles capables de concurrencer les espèces invasives pendant cette phase de colonisation ?

Dans l’objectif de comprendre et prédire l’évolution de la calotte glaciaire d’ici à la fin du siècle, une équipe pluridisciplinaire – impliquant des chercheurs de l’Université Catholique de Louvain en Belgique, de Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP – CNRS / Univ. Panthéon-Sorbonne / Univ. Paris-Est Créteil Val-de-Marne), du Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE – CNRS / INRAE / Aix-Marseille Univ. / IRD), du Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS – CNRS / Univ. Toulouse Paul Sabatier / CNES / IRD), de l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE – CNRS / IRD / Univ. Grenoble Alpes) et le Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (PRODIG – CNRS / Univ. Panthéon-Sorbonne / IRD / Agroparistech / Univ. de Paris) – s’est constituée autour d’un programme de recherche financé par le LabEx DynamiTe (ANR-11-LABX-0046). Dans leur étude publiée dans Antarctic Science, les auteurs ont tout d’abord contextualisé l’évolution glaciaire sur une période passée marquée par une forte variation de la taille de la calotte. Ainsi, des datations de moraines par l’analyse du 36Cl contenu dans la roche, des documents historiques et des observations directes ont permis de documenter l’évolution de la calotte au cours du dernier millénaire. Un modèle glaciologique contraint par ces observations a par la suite permis de simuler les différentes phases d’avancée et de retrait de la calotte Cook depuis ces derniers siècles jusqu’en 2100 CE.

Les résultats révèlent une calotte environ 20 % plus étendue au début du dernier millénaire qu’en 1963 (Fig. 2). Deux moraines en aval du front actuel du glacier Ampère, datées grâce aux isotopes cosmogéniques autour de 1220 ± 260 CE et 1440 ± 310 CE, respectivement, attestent de la position du glacier au début du Petit Âge Glaciaire. La calotte a ensuite subi un nouveau retrait important, perdant plus de 20 % de sa surface entre 1963 et 2009. Bien qu'affectées par de grandes incertitudes en lien avec les différents scénarios du GIEC, les simulations futures suggèrent une disparition complète de la calotte Cook d'ici la fin du siècle. Des études futures permettront d’évaluer plus en détail la date approximative de cette disparition de la calotte, ainsi que les conséquences de l’ouverture de nouvelles zones désenglacées sur la faune et la flore des Îles Kerguelen.

Extensions modélisées de la calotte Cook
Fig. 2. Extensions modélisées de la calotte Cook à partir du modèle glaciologique pour a) le début du Petit Âge Glaciaire (PAG), b) 1963, c) 2009 et d) 2100 selon le scénario d’émissions RCP8.5. Les contraintes spatiales de la calotte Cook pour le début du PAG (a) ainsi que pour 1963 (b) et 2009 (c) sont représentées en violet. Le modèle numérique de terrain provient de http://lpdaac.usgs.gov/products/srtmgl1v003.

Objectifs de développement durable

pictODD

  • ODD 13 :Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique
  • ODD 14 : Vie aquatique
  • ODD 15 : Vie terrestre

ODD13 pour la contribution de cette étude à la connaissance des changements climatiques passés, actuels et futurs dans l’hémisphère sud, et secondairement les ODD14 et 15 en raison des impacts qu’auront ces changements sur la biodiversité marine et continentale de l’archipel, respectivement.

Référence

Evolution of the Cook Ice Cap (Kerguelen Islands) between the last centuries and 2100 CE based on cosmogenic dating and glacio-climatic modelling. Verfaillie, D., Charton, J., Schimmelpfennig, I., Stroebele, Z., Jomelli, V., Bétard, F., Favier, V., Cavero, J., Berthier, E., Goosse, H., Rinterknecht, V., Legentil, C., Charrassin, R., Aumaître, G., Bourlès, D.L.L, Keddadouche, K.. Antarctic Science (2021),  doi:10.1017/S0954102021000080

Contact

Deborah Verfaillie
Earth and Life Institute, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique
Joanna Charton
Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE - CNRS / INRAE / Aix-Marseille Univ. / IRD)
Lucilla Benedetti
Correspondante communication - Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE - CNRS / INRAE / Aix-Marseille Univ. / IRD)