Des variants de pathogènes plus ou moins virulents ? La question se posait déjà bien avant covid pour la peste, il y a près de 400 ans.

Résultats scientifiques

Fruit d’une collaboration entre le Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT CNRS/UT3 Paul Sabatier) et le laboratoire d’Anthropologie bio-culturelle, Droit, Éthique et Santé à Marseille (ADES CNRS/EFS/AMU), une étude parue le 31 mars 2021 dans la revue iScience reconstitue le génome d’une souche ancienne de la bactérie Yersinia pestis, responsable d’une épidémie de peste dans les Hautes Alpes en 1629-1630. En comparant les séquences d’ADN bactérien ancien entre elles, il devient désormais possible d’explorer les raisons pour lesquelles les grandes épidémies de l’Histoire ont eu des conséquences plus ou moins funestes selon les régions où elles sévissaient. 

La deuxième pandémie de peste a débuté en Europe au milieu du XIVe siècle avec la peste noire, qui a entraîné dans son sillage une série de vagues épidémiques, jusqu'à disparaître au cours du XIXe siècle. Les travaux conduits par Ludovic Orlando, directeur du CAGT, et son équipe, viennent d’apporter un éclairage nouveau sur l’une des nombreuses résurgences de peste bubonique, qui, dans la première moitié du XVIIe siècle, est venue s’ajouter à la liste des nombreux fléaux qui décimaient nos sociétés, comme la Guerre de Trente Ans, les mauvaises récoltes et les famines qui s’en suivaient. Pourquoi l’impact de l’épidémie fut particulièrement sévère dans le Sud de l’Europe, en particulier en Italie, restait encore un mystère entier. L’apparition d’une bactérie portant un variant génétique causant une virulence accrue figurait parmi les hypothèses les plus plausibles. C’est dans le but de vérifier si c’était bien le cas que le groupe a entrepris un voyage dans le temps pour séquencer le génome bactérien de l’époque.

Dans ce voyage temporel, le cimetière de Lariey (Puy-Saint-Pierre, Hautes Alpes), fouillé au début des années 2000 par le professeur Michel Signoli (AMU, ADES et co-auteur de l’étude) apparut alors comme une destination de choix  : les archives historiques permettent en effet de dater sans ambiguïté son utilisation à 1629-1630, soit au cœur de l’épidémie, et son emplacement matérialisé par une croix à l’inscription évocatrice cimetière de la peste, ne laisse aucun doute quant aux causes de la mort des 34 femmes, hommes et enfants inhumés. Au laboratoire, Andaine Seguin-Orlando, maîtresse de conférences à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, et ses collègues du CAGT ont analysé l’ADN encore préservé dans ces individus, jusqu'à identifier 2 dents dont la cavité pulpaire était particulièrement riche en matériel génétique bactérien, et ainsi reconstituer deux génomes complets de Yersinia pestis, l’agent de la peste.

En comparant ces nouvelles données génomiques bactériennes à celles déjà caractérisées à l’échelle plus large de l’Europe, les chercheurs ont démontré que les souches françaises et italiennes étaient très proches génétiquement : aucune mutation affectant des gènes de virulence, ni aucune accélération des taux de mutation spécifique aux variants italiens n’a pu être détectée. Il semble donc que les conséquences désastreuses de l’épidémie en Italie soient davantage imputables à des facteurs sociaux, environnementaux ou encore politiques, qu’aux caractéristiques biologiques de la bactérie elle-même. Une illustration historique de la difficulté de trouver l’équilibre juste entre politiques de santé publique et biologie des pathogènes, qui, près de 400 ans plus tard, vient télescoper le temps présent.

 

Ce travail a été réalisé dans les infrastructures dédiées à l’analyse des ADN anciens au sein du tout nouveau laboratoire CAGT UMR5288 CNRS-UT3. Il a bénéficié du soutien financier de l’Agence nationale pour la recherche (LifeChange ANR-17-CE12-0018 et Investissements d’Avenir ANR-17-EURE-0010), du CNRS dans le cadre de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires « Défi Écologie de la santé 2020 », de la Fondation Simone & Cino Del Duca (Subventions scientifiques 2020, HealthTimeTravel) et de collaborations avec le Service Régional de l’Archéologie PACA et avec la National Genomics Infrastructure de Suède.

Références

No particular genomic features underpin the dramatic economic consequences of 17th century plague epidemics in Italy. Andaine Seguin-Orlando, Caroline Costedoat+, Clio Der Sarkissian, Stéfan Tzortzis, Célia Kamel, Norbert Telmon, Love Dalén, Catherine Thèves, Michel Signoli, Ludovic Orlando. iScience

Contact

Ludovic Orlando
Centre d'Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT - CNRS/Univ Toulouse III Paul Sabatier)
Andaine Seguin-Orlando
Centre d'Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT - CNRS/Univ Toulouse III Paul Sabatier)
Morgane Gibert
Correspondante communication - Centre d'Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT - CNRS/Univ Toulouse III Paul Sabatier)