Une nouvelle culture, en Chine, il y 40 000 ans

Résultats scientifiques

Quand pour la première fois des populations d'Homo sapiens sont arrivées en Chine et que s’est-il s'est passé quand elles ont rencontré les Dénisoviens qui y habitaient ? Une équipe internationale de chercheurs révèle la découverte, dans le nord du pays, d'un site vieux de 40 000 ans fréquenté par une population qui taillait la pierre de façon inédite, utilisait des ossements comme outils, emmanchait ses outils en pierre, utilisait des grandes quantités de pigments rouges. Les traits culturels mis en évidence à Xiamabei, le nom du site, sont originaux et ne correspond pas à ceux décrits dans des sites archéologiques habités par des populations archaïques de la région ou à ceux généralement associés à l'expansion des populations modernes. La découverte de cette nouvelle culture archéologique semble indiquer l'existence de processus d’innovation et de diversification culturelle émergeant au cours d'une période d'hybridation génétique et culturelle. Les résultats de ces recherches viennent d’être publiés dans la revue Nature.

L'un des événements les plus marquants de l'évolution humaine a été l'expansion mondiale d’Homo sapiens. Des preuves fossiles, génétiques et archéologiques indiquent que des populations d’hommes anatomiquement modernes se sont dispersées hors d'Afrique à plusieurs reprises au cours des derniers 200 000 ans en se croisant, lors de leur migration à travers l'Eurasie, avec des homininés dits archaïques, tels que les Néandertaliens et les Dénisoviens. Les données paléoanthropologiques et archéologiques restent toutefois ambiguës quant à l'arrivée des populations modernes en Asie orientale et à leurs interactions avec les populations autochtones. Il a été avancé que des hommes modernes étaient présents en Chine il y a 110 000 ans, mais ce scénario a été remis en question récemment par des nouvelles datations et analyses génétiques. Une présence de populations modernes en Chine semble être attestée, grâce à des restes humains, il y a au moins 40 000 ans mais aucun changement comportemental pouvant être rattaché à cette colonisation était détecté dans le registre archéologique de cette vaste région avant environs 29 000 ans, période qui voit la diffusion de technologies de taille de la pierre permettant la production standardisée de microlamelles.

Il a été souvent avancé que l'expansion des hommes modernes a été facilitée par des innovations sociales et symboliques. L'utilisation, par exemple, de pigments et de technologies miniaturisées ont été considérées comme des indicateurs archéologiques d’une plus forte complexité culturelle, indice des avantages adaptatifs qui auraient facilité la diffusion des populations modernes. Mais mis à part l’utilisation d’objets de parure et pigments dans une des grottes de Zhoukoudian (vers 35-33 000 ans) et des perles de Shuidonggou 2 (vers 31 000 ans) aucune autre trace claire de ces comportements était connue.

Les restes archéologiques mis au jours dans le site de Xiamabei, dans le nord de la Chine, et leur analyse par une équipe internationale, incluant des chercheurs du CNRS, comble ce manque et, à la fois, jette une nouvelle lumière sur ce moment clef de l’histoire du peuplement de l’Asie.

Les humains qui ont fréquenté ce site ont utilisés des petits outils en pierre, taillés par percussion bipolaire, et les ont parfois fixés avec des colles végétales dans des manches en os pour travailler la peau, le bois et couper la viande. Ils ont amenée au site plusieurs types d’ocre qu’ils ont abrasé et broyé pour utiliser la poudre rouge ainsi produite dans une activité non identifiée, mais qui a laissé une large tache rouge sur le sol d’habitat. Un éclat allongé d’os, à peine modifié, a été utilisé, probablement pour travailler la peau.

Ces traits culturels inédits pourraient refléter une première colonisation par des humains modernes, ayant peut-être eu des échanges culturels et génétiques avec les Denisoviens locaux, remplacée par une arrivée plus tardive. Ils pourraient aussi correspondre à une évolution culturelle locale de populations Dénisoviennes, peut être suite à un contact avec des populations modernes. L’absence de restes humains à Xiamabei ne permet pas de trancher mais montre que le scénario d’une diffusion d’innovations associée à une vague unique et rapide de populations d’H. sapiens à travers l'Eurasie est simpliste. Xiamabei suggère un scénario plus complexe avec des épisodes répétés d'échanges génétiques et culturels sur de vastes zones géographiques : un modèle en mosaïque impliquant, dans certains cas, la propagation de paquets d'innovations, et dans d'autres, la persistance de traditions locales avec adoption de certaines innovations se soldant par différents taux de complexités dans les pratiques technologiques et symboliques.

Illustration
Fragment d’ocre portant des traces d’abrasion (gauche) et éclat d’os long sommairement aménagé par raclage et portant des traces d’utilisation à une extrémité (photos d’Errico, Rosso, Yang).

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA - CNRS / Ministère de la culture / Université de Bordeaux)

Référence

Fa-Gang Wang, Shi-Xia Yang, Jun-Yi Ge, Andreu Ollé,  Ke-Liang Zhao, Jian-Ping Yue, Daniela Eugenia Rosso,Katerina Douka,Ying Guan, Wen-Yan Li, Hai-Yong Yang, Lian-Qiang Liu, Fei Xie, Zheng-Tang Guo, Ri-Xiang Zhu, Cheng-Long Deng,  Francesco d'Errico, Michael Petraglia, Innovative ochre processing and tool use in China 40,000 years ago. Nature

Contact

Francesco d’Errico
Chercheur CNRS en préhistoire et évolution humaine
Anne-Cécile Baudry-Jouvin
Correspondante communication - De la préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (PACEA - CNRS/Univ. de Bordeaux/Ministère de la Culture)