Le séquençage du génome de Silene latifolia éclaire le déterminisme du sexe chez les plantes
Un consortium international, incluant des laboratoires français et le CEA-Genoscope, coordonné par un chercheur du CNRS et soutenu par l’ANR, a réussi la prouesse de séquencer les chromosomes X et Y géants de la plante Silene latifolia. Ce travail permet d’identifier des gènes candidats du déterminisme du sexe de cette plante et de comprendre comment ces chromosomes sont devenus géants. Il marque une étape importante dans l’étude et la compréhension du déterminisme du sexe chez les plantes, notamment cultivées.
En résumé
- Le génome du compagnon blanc, une plante ayant permis la découverte des chromosomes sexuels chez les plantes il y a une centaine d’années, a été séquencé.
- Cette plante possède un chromosome Y géant dont les gènes du déterminisme du sexe ont été identifiés et son évolution retracée.
- Ce travail constitue une avancée majeure pour la compréhension du déterminisme du sexe chez les plantes et offre une approche transférable pour d’autres plantes, notamment cultivées.
En 1923, Kathleen Blackburns découvrait que les chromosomes sexuels existaient chez les plantes en étudiant Silene latifolia, une espèce aussi appelée compagnon blanc que l’on trouve dans les campagnes européennes et aux USA, seulement quelques années après que Nettie Stevens ait découvert ce type de chromosomes chez les animaux. Il fallut ensuite attendre 2014 pour que le premier gène maitre du déterminisme du sexe chez les plantes soit identifié, chez le plaqueminier (qui produit le kaki).
Les chromosomes sexuels sont caractérisés par des régions non-recombinantes de taille variable qui sont presque toujours très riches en séquences répétées. Cette particularité rend quasi-impossible le séquençage des chromosomes Y et W par les approches génomiques conventionnelles. C’est la raison pour laquelle une approche spécifique a été développé pour le Y humain, d’un montant de six millions de dollars, afin d’obtenir 65 mégabases (Mb) de séquences en 2003. A titre de comparaison, le chromosome X de S. latifolia fait 400 Mb et son chromosome Y 550 Mb, soit presque dix fois la taille du Y humain. Le chromosome Y de S. latifolia étant largement non-recombinant et donc très riche en répétitions, cette plante représentait jusqu’à présent une sorte d’Everest dans le domaine de la génomique.
Cent ans après la découverte de K. Blackburns, grâce aux instruments et à l’expertise du Genoscope, le centre national de séquençage d’Evry, un consortium scientifique international a réussi à obtenir la séquence des chromosomes géants du compagnon blanc en utilisant une nouvelle technique produisant des lectures longues. En utilisant une collection de mutants pour le phénotype sexuel (des hermaphrodites ou des asexués) présentant des délétions1 sur le chromosome Y, les chercheurs ont pu identifier les gènes du déterminisme du sexe qui avaient été perdus chez ces mutants. Ils ont également analysé les séquences des chromosomes X et Y et les ont comparées à celles d’autres espèces de silènes ne disposant pas de chromosomes sexuels afin de reconstituer leur évolution. Ils ont ainsi pu mettre en évidence des réarrangements chromosomiques ayant conduit à l’arrêt de la recombinaison entre les chromosomes sexuels et ayant provoqué l’accumulation de séquences répétées. De manière inattendue, cette accumulation a été observée à la fois sur le Y et dans la région péricentromérique du X.
Ce travail améliore la compréhension du déterminisme du sexe chez les plantes à fleur. L’approche utilisée, qui repose sur une collection de mutants, est transférable à n’importe quelle plante dioïque2 et s’avère particulièrement intéressante pour les plantes disposant de chromosomes sexuels avec de grandes régions non-recombinantes incluant de nombreux gènes. 13% des plantes cultivées sont dioïques ou dérivent d’un ancêtre sauvage dioïque, telles que la vigne, le fraisier, l’arbre à kiwi, l’asperge, le papayer, le palmier-dattier, le chanvre et le houblon. En général, un seul sexe est utile d’un point de vue économique. Par exemple, seules les fleurs femelles sont utilisées pour produire le houblon, seules les palmier-dattiers femelles produisent des dattes et seules les asperges males sont consommées. La caractérisation des chromosomes sexuels permet de développer des marqueurs génétiques conduisant à un sexage précoce des plantes, afin de ne sélectionner que le sexe « utile » qui optimisera la production.
La manipulation des gènes du déterminisme du sexe offrirait la possibilité de modifier le système sexuel de ces plantes selon des objectifs précis. On pourrait obtenir des vignes cultivées dioïques de façon à contrôler parfaitement les croisements entre variétés, une étape clé de l’amélioration des plantes. On pourrait également produire des variétés hermaphrodites capables d’autofécondation chez les plantes cultivées dioïques où de tels hermaphrodites n’existent pas, et avoir des champs ou 100% des plantes sont productives.
Notes
- Mutation génétique caractérisée par la perte de matériel génétique sur un chromosome.
- Espèce qui a des individus mâles et des individus femelles
Référence de la publication
C. Moraga, C. Branco, Q. Rougemont, P. Jedlička, E. Mendoza-Galindo, et al. The Silene latifolia genome and its giant Y chromosome. Science. Publié le 6 février 2025.
Laboratoires CNRS impliqués
- Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE / CNRS /Univ. Lyon 1 / INRIA / École Vétérinaire)
- Genoscope (CNRS / CEA / Univ. Evry / Univ. Paris-Saclay)
- Institut des Sciences des Plantes (IPS2 / CNRS / Univ. Paris-Saclay / INRAE / Univ. Evry)
- Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE / CNRS / Univ. Paris-Saclay / AgroParisTech)
- Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE / CNRS / Univ. Montpellier / EPHE / IRD)
- Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires (IRISA / CNRS / Univ. Rennes / INRIA)
- Laboratoire Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie (EGCE – CNRS/Univ. Paris-Saclay/IRD)