Climat et peuplement de l’Europe il y a 570 000 ans
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Les travaux pluridisciplinaires coordonnés par des chercheurs du CNRS livrent des données inédites sur les premiers peuplements de l’Europe, il y a entre 570 000 et 530 000 ans. Le site de Valle Giumentina (Abruzzes, Italie) conserve un enregistrement unique de l’évolution des paysages au cours de plusieurs périodes glaciaires et interglaciaires, et renseigne l’impact de variations climatiques rapides sur les environnements. Trois niveaux archéologiques conservés au sein de cette séquence indiquent que les groupes humains d’Homo heidelbergensis se sont adaptés à des milieux variant de la forêt tempérée à la steppe aride. Cette étude vient de paraître dans la revue Archaeological and Anthropological Sciences.
Le peuplement humain de l’Europe avant 500 000 ans (500 ka) est connu par de rares données à travers le continent, dont la chronologie est souvent approximative. Sur ce canevas fragmentaire, l’Italie représente un réservoir exceptionnel de sites archéologiques du Paléolithique inférieur. Une équipe internationale1 menée par des chercheurs du CNRS et de l’Ecole française de Rome travaille depuis 2012 sur le gisement italien de Valle Giumentina, situé dans le Parc National de la Maiella, dans la région des Abruzzes. Les vestiges archéologiques sont ici conservés au sein d’une séquence puissante de 45 m principalement constituée de dépôts lacustres et de sols.
Un article paru dans la revue Archaeological and Anthropological Sciences présente les résultats des études réalisées sur la partie la plus profonde de cette séquence et sur les niveaux archéologiques les plus anciens, situés entre 24 et 13 mètres de profondeur. Les résultats des analyses sédimentologiques et micromorphologiques à haute résolution, combinés avec les données des malacofaunes et des pollens, livrent une reconstitution détaillée des paysages parcourus par les hommes entre 570 ka et 530 ka, au cours d’une période interglaciaire puis d’une phase glaciaire (stades isotopiques MIS 15 et MIS 14). Ils mettent en évidence de nombreuses oscillations climatiques de courte durée mais de forte amplitude, et leur impact sur les environnements à l’échelle locale. Les comparaisons avec les archives climatiques mondiales, méditerranéennes et italiennes confirment la cohérence de l'enregistrement de Valle Giumentina et les caractéristiques contrastées de chaque stade isotopique.
Les trois niveaux archéologiques présents dans cette partie de la séquence, définis par la présence de silex taillés, sont attribués aux sous-stades isotopiques MIS 15a (niveau AO1-20, c. 565 000 ans), MIS 14d (niveau 24, c. 554 ± 3 ka ) et MIS 14c/14b (niveau LBr, c. 530 ka), avec une résolution temporelle inégalée pour la période. L’étude démontre que des groupes humains d’Homo heidelbergensis (l’ancêtre de Néandertal) ont vécu à Valle Giumentina non seulement pendant des périodes tempérées, dans des paysages de forêts, mais aussi lors de périodes froides, quand la région s’apparentait à une steppe. Les petites séries d’industries lithiques (119 artefacts au total) ont fait l’objet d’études pétrographiques, technologiques et tracéologiques pour identifier la nature et la provenance des matières premières et préciser les modes de fabrication et d’utilisation des industries. Elles suggèrent que l'approvisionnement en silex était strictement local et effectué dans le massif calcaire de la Maiella. La production de nucléus et d'éclats est conforme à ce que l’on connaît pour le Paléolithique inférieur. Elle est réalisée selon un débitage récurrent unipolaire et par surfaces alternées, et présente de gros éclats débités mais jamais de préparation des blocs. Les éclats produits ont des tranchants réguliers et rectilignes, qu’il s’agisse d’éclats courts et minces, d’encoches ou d’éclats épais à dos. Ils sont rarement retouchés, suggérant qu’une partie du débitage a eu lieu sur place. L'homogénéité globale des industries dans les différents niveaux archéologiques indique qu’il n’y a pas de relation évidente entre la variabilité environnementale et climatique et les caractéristiques typo-techniques des productions lithiques. Elle suggère une occupation pérenne de la région au cours du Pléistocène moyen par les groupes d’Homo heidelbergensis et une capacité certaine d’adaptation à des conditions environnementales et climatiques contrastées.
- 1Cette recherche a été financée par l'École Française de Rome (EFR) et le laboratoire CEPAM et réalisée avec l'autorisation de MIBAC/Soprintendenza Archeologia Abruzzo et le soutien du Parco Nazionale della Maiella, des Villes d'Abbateggio et de Caramanico Terme et de l'Archeoclub de Pescara. Ce travail a été soutenu par le gouvernement français à travers le projet "Université Côte d'Azur UCAJEDI Investissements d'Avenir" géré par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) avec le numéro de référence ANR-15-IDEX-01 (bourse de post-doctorat de V.V. et aide à la publication du manuscrit).
Référence de la publication
Villa, V., Nicoud, E., Guibert--Cardin, J. et al. Environmental changes and human occupations between MIS 15 and MIS 14 in Central Italy: archaeological levels AO1-20, 24 and LBr of Valle Giumentina (c. 570–530 ka). Archaeol Anthropol Sci, publié le 29 janvier 2024.
Laboratoires CNRS impliqués
- Cultures et environnements, Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CEPAM, CNRS/ Univ. Côte d’Azur)
- Laboratoire de Géographie physique, environnements quaternaires et actuels (LGP, CNRS/Univ. Panthéon-Sorbonne/Univ. Paris-Est Créteil Val-de-Marne)
- Archéologie des Sociétés Méditerranéennes (ASM, CNRS/ Ministère de la Culture/Univ. Paul Valéry Montpellier)