Dans les yeux des primates : les serpents y ont-ils une place particulière ?

Résultats scientifiques

Les primates sont-ils plus rapides à détecter des serpents que d’autres prédateurs ? Pour tenter de répondre à cette question, une équipe de recherche s’est intéressée aux capacités de détection visuelle de deux espèces de macaques. Cette étude, publiée dans la revue Animal Cognition, montre que les macaques ne détectent pas des images de serpents plus fréquemment ou plus rapidement que des images d’autres animaux, suggérant que les serpents ne captent pas plus l'attention visuelle que d’autres prédateurs (félins, rapaces, crocodiles...). 
 

En résumé

  • Une théorie dominante dans la littérature, la Snake Detection Theory, suggère le système visuel des primates a evolué pour leur permettant notamment de détecter rapidement les serpents.
  • Les nombreuses études empiriques validant les prédictions de cette théorie ne prennent pas en compte les autres prédateurs des primates.
  • Cette étude concernant deux espèces de macaques remet en question les preuves en faveur de la Snake Detection Theory en montrant que les serpents ne captent pas plus leur attention visuelle que d’autres animaux dangereux. 

La perception des animaux par l’espèce humaine se répartit selon un gradient allant de la fascination, l’attraction, la peur, jusqu’à la phobie. La position d’un animal sur ce gradient dépend notamment de l’interaction entre facteurs évolutifs et culturels de la perception du danger. Une des phobies animales les plus répandues est l’ophiophobie, la peur extrême des serpents. Mais pourquoi les serpents nous font-ils si peur ? Une théorie dominante formalisée pour la première fois en 2006, la Snake Detection Theory (SDT), affirme que la peur des serpents est innée et serait le résultat de millions d’années d’évolution entre les serpents, dangereux prédateurs, et les primates. D’après cette théorie, le lien étroit entre serpents et primates serait aussi à l’origine du développement de capacités visuelles spécifiques chez les primates, leur permettant notamment de détecter rapidement les serpents.

L’étude publiée par une équipe de recherche du CNRS, du Muséum national d’Histoire naturelle, de l’Université de Strasbourg et de l’Université Clermont Auvergne, dans la revue Animal Cognition, avait pour but d’évaluer les capacités de détection visuelle de prédateurs chez deux espèces de macaques (macaques de Tonkean et macaques rhésus) et la place qu’y occupent les serpents. En utilisant deux tâches cognitives de type « trouve l’intrus », les scientifiques ont pu enregistrer la capacité de détection de 25 macaques, sur plus de 400 000 essais, et leur vitesse à repérer une image  « intrus » parmi des images strictement identiques (tâche de discrimination – par exemple une image de serpent « intrus » avec 3 images identiques du même félin) ou parmi des images différentes mais apparentant à une même catégorie (tâche de catégorisation – par exemple une image de serpent « intrus » et 3 images différentes de félins). Les images pouvaient représenter un prédateur, un animal non prédateur ou une simple forme géométrique. L’étude a montré que les macaques ne détectent pas des images de serpents plus fréquemment ou plus rapidement que des images d’autres animaux. Ainsi, ces résultats suggèrent que les serpents ne captent pas plus l'attention visuelle que les autres prédateurs, ce qui remet en question les conclusions d’articles précédents en faveur de la SDT. 

EDDL Garcia&Keller
Un des individus Macaca tonkeana suivi dans le cadre de cette étude - Crédit Karl Zeller

 

Référence

Spot the odd one out: do snake pictures capture macaques' attention more than other predators? Zeller K, Ballesta S, Meunier H, Duboscq J, Morino L, Rimele A, Bonnet X, Maille A, Dezecache G, Garcia C. Animal Cognition, le 19 octobre 2023.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC, CNRS/La Rochelle Univ.)
  • Laboratoire Eco-anthropologie (EA, CNRS/MNHN)
  • Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives (LNCA, CNRS/Univ. de Strasbourg)
  • Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (LAPSCO, CNRS/Univ. Clermont Auvergne)

Objectifs de développement durable (ODD)

ODD

Cette étude s'inscrit dans un projet plus large sur les peurs et phobies animales qui devrait contribuer à mieux comprendre l’évolution des interactions humains-nature, qui sont clés dans la construction de notre rapport à la nature et dans l’adoption de comportements pro-environnementaux. Il est en effet crucial de conserver et renforcer la connexion à la nature, et de l’intégrer dans les politiques de conservation, ce afin d’affronter les enjeux environnementaux actuels et futurs et ainsi atteindre des objectifs durables.

Contact

Cécile Garcia
Laboratoire Eco-anthropologie (EA - CNRS/MNHN)
Karl Zeller
Doctorant - Laboratoire Eco-anthropologie (EA - CNRS/MNHN)
Shelly Masi
Correspondante communication - Laboratoire Eco-anthropologie (EA – CNRS / MNHN)