Et si les algues rouges étaient, elles aussi, soumises à la sélection sexuelle ?
L’étude de la sélection sexuelle chez des espèces comme les algues rouges, n’appartenant pas aux clades classiquement étudiés, devrait aider à comprendre comment et quand l'anisogamie déclenche des différences de sélection sexuelle entre les sexes, et dans quelles conditions ces différences conduisent à l'évolution du dimorphisme sexuel. Ces travaux sont publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B.
En résumé
- Chez l’algue rouge Gracilaria gracilis, les mâles et femelles ne présentent pas de dimorphisme sexuel, les gamètes mâles ne sont pas flagellés et la fécondation a lieu sur la femelle.
- L’existence d’une compétition entre mâles pour l’accès aux femelles a été mise en évidence pour la première fois chez cette algue rouge.
- La découverte récente chez G. gracilis d'un phénomène similaire à la pollinisation par le crustacé marin Idotea balthica, interroge sur l’existence d’un dimorphisme sexuel sur des traits mâles en lien avec la dispersion par voie animale, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche.
La sélection sexuelle résulte de la compétition entre les individus pour l'accès aux partenaires ou à leurs gamètes. Historiquement développée par Charles Darwin pour expliquer le dimorphisme sexuel des caractères sexuels secondaires chez les espèces animales, comme les bois des cerfs ou le plumage chatoyant des coqs, la théorie de la sélection sexuelle postule que l'anisogamie, c’est-à-dire la différence de taille entre gamètes, devrait conduire à une forte compétition entre les mâles pour l'accès aux femelles et aux ovules.
Depuis C. Darwin, l'importance de la sélection sexuelle a été étudiée essentiellement chez les animaux montrant un fort dimorphisme sexuel (c'est-à-dire chez qui les mâles et les femelles ont des morphologies très différentes) et capables de faire des choix conscients et d'adopter des comportements complexes. Or chez toutes les espèces anisogames, y compris celles qui ne présentent pas de traits cognitifs similaires à ceux impliqués dans le choix du partenaire, la sélection sexuelle devrait être plus forte chez les mâles. Pourtant très peu d’études s’y sont intéressées et ce n’est que très récemment qu’il a été mis en évidence que la sélection sexuelle jouait également un rôle essentiel chez les champignons ou chez les plantes à fleur.
Dans une récente étude parue dans la revue Proceedings of the Royal Society B par une équipe scientifique internationale franco-chilienne révèle, pour la première fois, l'existence de sélection sexuelle chez une algue rouge. Bien qu'il n'y ait pas de dimorphisme sexuel avéré, cette étude soutient l'hypothèse que la sélection sexuelle se produit chez l’algue rouge Gracilaria gracilis : le nombre de descendants produit par un individu mâle dépend du nombre de partenaires femelles avec qui il a pu se reproduire. À l’inverse le nombre de descendants des femelles ne semble pas du tout dépendre de leur nombre de partenaires. Pour démontrer l'influence potentielle de la sélection sexuelle, les chercheuses et chercheurs ont étudié en détail la reproduction dans une population qu'ils étudient depuis des décennies. Ils ont utilisé des marqueurs génétiques pour effectuer des tests de paternité sur environ 1 500 descendants afin de comprendre les facteurs influençant le succès reproducteur des femelles et des mâles. Maintenant qu’il est avéré que les gamètes mâles de l’algue peuvent être transportés par un crustacé marin Idotea balthica (voir L’idotée, une abeille des mers ?), les auteurs proposent donc que la sélection sexuelle chez Gracilaria gracilis pourrait favoriser les mâles qui attirent plus les crustacés ou qui produisent des gamètes qui se fixent le mieux à leurs pattes pour un meilleur transport vers les femelles, à l’instar de ce qui se passe dans les milieux terrestres lors du transport du pollen par les insectes ou d’autres animaux.
Référence
Sexual selection in seaweed? Testing Bateman's principles in the red alga Gracilaria gracilis.
Lavaut, E., M. Valero, S. Mauger, M. Guillemin, C. Destombe and M. Dufay (2023).
Proceedings of the Royal Society B, le 13 septembre 2023.
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