Les plantes carnivores sarracénies composeraient leurs menus en modulant les odeurs qu’elles émettent

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Alors que les leurres utilisés par les plantes carnivores à urnes américaines pour capturer leurs proies font encore débat dans la littérature scientifique, une étude de chercheurs français publiée dans PLOS ONE montre que les odeurs pourraient jouer un rôle clé dans la stratégie de nutrition de ces plantes. Cette équipe composée d’écologues, de chimistes et d’une entomologiste démontre que ces plantes peuvent influer sur la composition de leurs proies grâce aux odeurs qu’elles émettent.

Les sarracénies poussent dans les tourbières humides d’Amérique du Nord où les racines peinent à puiser des nutriments. Elles ont développé au cours de l’évolution une stratégie de nutrition complémentaire, la carnivorie : leurs feuilles-pièges en forme de trompettes sont capables d’attirer, capturer et digérer des arthropodes dont elles retirent un bénéfice nutritionnel. Parmi les mécanismes possibles d’attraction des insectes, leurres visuels basés sur des contrastes de couleurs, odeurs, nectar, aucun cependant ne fait consensus. Certains chercheurs déclarent même que ces pièges seraient passifs et leurs captures aléatoires. La plupart des espèces comme Sarracenia purpurea capturent un ensemble commun de fourmis et de mouches, mais certaines d’entre elles, comme S. leucophylla, aux longues urnes, ont un régime alimentaire plus diversifié incluant des proies de plus grande taille telles que guêpes, abeilles ou papillons. Jusqu’à présent, seuls des traits morphologiques, comme la taille de l’urne ou le diamètre de sa « bouche » semblaient expliquer la variabilité observée parmi les spectres de proies capturées. Les odeurs jouent-elles aussi un rôle dans les captures ? Les chercheurs ont testé cette hypothèse en analysant en détail les odeurs* et les proies de quatre taxa de sarracénie présentant un gradient de parenté de S. purpurea vers S. leucophylla et cultivées ensemble dans les mêmes conditions expérimentales.

Urnes-pièges des différentes sarracénies utilisées dans l’étude
 Urnes-pièges des différentes sarracénies utilisées dans l’étude. © Laurence Gaume

Le parfum de ces plantes carnivores s’est révélé généraliste, avec de la variabilité et aussi des spécificités taxonomiques qui reflétaient celles de leurs proies. Sur un échantillon d’urnes où les odeurs émises et les insectes capturés ont été prélevés dans la même journée, les chercheurs ont pu montrer que les quantités des groupes de proies principaux pouvaient être déduites, avec peu d’incertitude, des quantités des différentes classes d’odeurs émises et des dimensions des urnes. Il ressort notamment que les abeilles, les guêpes et les papillons piégés dans les urnes étaient d’autant plus nombreux que les émissions de composés habituellement retrouvés dans les effluves florales étaient importantes. Le nombre de fourmis, quant à lui, était positivement corrélé au taux d’émission de dérivés d’acides gras, une classe de composés que les fourmis utilisent souvent dans leur communication chimique.

Ces résultats suggèrent que grâce à leurs composés organiques volatils, ces plantes carnivores peuvent composer leur menu en ciblant des proies particulières, et donc que les captures ne se font pas au hasard. Ils suggèrent également qu’elles exploitent les biais sensoriels neuronaux des insectes, conduisant ces derniers vers leurs pièges fatals. Des études complémentaires des espèces de sarracénies dans leurs milieux d’origine incluant notamment leurs signaux visuels permettront de mettre définitivement à jour leurs mécanismes d’attraction et les conditions écologiques dans lesquels ils sont apparus.

* Analyses réalisées par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse à la PACE (Plateforme d’Analyses Chimiques en Ecologie) de Montpellier soutenue par le LabEx CeMEB (Centre Méditerranéen pour l’Environnement et la Biodiversité)

Laboratoires CNRS impliqués

  • Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP-CNRS/CIRAD/INRA/IRD/Université de Montpellier)
  • Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier / Université Paul Valéry Montpellier 3)
  • Institut de Systématique, Evolution et Biodiversité (ISYEB – CNRS / MNHN / Sorbonne Université / EPHE / Université des Antilles)

Objectifs de développement durable

ODD

  • Objectif 15 : Vie Terrestre 

Les sarracénies sont menacées par la dégradation de leurs habitats naturels, la pollution et le changement climatique tout comme les insectes dont elles dépendent pour se nourrir. En mettant en lumière ces plantes carnivores menacées par les perturbations anthropiques et leurs étroites dépendance aux insectes, cette étude nous rappelle qu’il est nécessaire de protéger ces plantes et leurs écosystèmes fragilisés.

Référence de la publication

Dupont, C., B. Buatois, J.-M. Bessiere, C. Villemant, T. Hattermann, D. Gomez, and L. Gaume. 2023. Volatile organic compounds influence prey composition in Sarracenia carnivorous plants. PloS ONE 18:e0277603, DOI : 10.1371/journal.pone.0277603

Contact

Laurence Gaume
Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / IRD / CIRAD / INRAE / Université de Montpellier)
Yannick Brohard
Correspondant communication : botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / CIRAD / INRAe / IRD / Université de Montpellier)
Claire Villemant
Institut de Systématique, Evolution et Biodiversité (ISYEB – CNRS / MNHN / Sorbonne Université / EPHE / Université des Antilles)
Bruno Buatois
Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier / Université Paul Valéry Montpellier 3)