Les espèces invasives doivent ressembler aux natives…mais pas trop

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Pourquoi certaines espèces non-natives s’établissent-elles facilement dans de nouveaux milieux, alors que d’autres ont du mal à s’installer durablement? Cette question a fait l’objet de nombreux travaux depuis plus d’un demi-siècle. Pourtant, prédire le potentiel d’invasion des espèces reste encore aujourd’hui une tache particulièrement hasardeuse. Cette incertitude réside probablement dans le fait que les capacités d’invasion des espèces s’expliquent non seulement par les caractéristiques fonctionnelles de ces espèces (capacités de reproduction, alimentation, taille du corps, etc…) mais également par celles des espèces natives constituant les communautés envahies. C’est ce que démontre une étude publiée dans la revue Nature Communications qui montre que les poissons d’eau douce non-natifs d’Amérique du Nord s’installent d’autant plus facilement dans de nouveaux milieux si ces poissons invasifs présentent des caractéristiques morphologiques proches mais non identiques à celles des poissons natifs. Ces résultats permettent de mieux comprendre les succès et échecs d’établissement des espèces non-natives et contribueront donc à mieux anticiper les invasions futures.

Les invasions biologiques représentent, avec la pollution, la fragmentation des habitats, la surexploitation et les changements climatiques, l’une des causes majeures des modifications de biodiversité à l’échelle du globe. Pourtant il reste difficile de déterminer quelles espèces pourraient devenir invasives et pourquoi ces espèces s’établiront plus facilement dans un milieu plutôt qu’un autre. Pour répondre à ces questions, une équipe internationale de scientifiques a utilisé une base de données référençant les poissons naturellement présents (espèces natives) et ceux introduits par l’homme (espèces non-natives ou invasives) dans plus de 1800 cours d’eau d’Amérique du Nord. Ils ont ainsi montré que les espèces non-natives les plus fréquemment rencontrées dans ces 1800 cours d’eau sont non seulement celles présentant le plus d’attrait pour l’homme (introduites pour la pêche de loisir ou l’aquaculture), mais sont aussi celles ayant des caractéristiques écologiques particulières, telles qu’une fécondité élevée, une espérance de vie longue et une grande taille corporelle. Pourtant, cela ne suffit pas à prédire le succès d’invasion de ces espèces. En effet, les espèces introduites ayant le plus de chances de s’établir dans un nouveau milieu doivent non seulement présenter des caractéristiques fonctionnelles similaires à celle de la communauté native, ce qui leur assure une bonne compatibilité avec l’habitat local ; mais aussi des fonctions non redondantes avec celles des espèces natives, leur évitant ainsi de rentrer directement en compétition avec la faune native. En d’autres termes, si on représente les fonctions occupées par la communauté native comme une tranche de gruyère, les espèces non-natives s’installeront préférentiellement dans les trous du fromage !

Ainsi dans un milieu donné, plus les espèces natives seront fonctionnellement distantes entre elles, plus ce milieu sera vulnérable à l’invasion par des espèces non-natives qui utiliseront ces espaces vacants. Ces résultats ont une résonance particulière dans un contexte d’érosion globale de la biodiversité puisque l’extinction d’espèces natives est susceptible de libérer des niches fonctionnelles qui rendront les milieux d’autant plus vulnérables à des invasions biologiques, ce qui pourrait à terme accélérer le déclin actuel de biodiversité.

black bass
Le black bass (Micropterus salmoides) est un poisson originaire de l’Est des Etats Unis mais considéré comme invasif dans la partie Ouest des USA, ainsi que dans de nombreux pays du globe. Cette espèce à la morphologie proche de la perche européenne (Perca fluviatilis) est établie dans la moitié sud de la France. Elle s’en distingue par un corps plus trapu, une plus grande bouche et un comportement marqué de gardiennage de ses petits (© Totti ; Creative commons, CC-BY-SA-4.0)

Laboratoires CNRS impliqués

Évolution et Diversité Biologique (EDB - CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD)

Référence de la publication

“Species invasiveness and community invasibility of North American freshwater fish fauna revealed via trait-based analysis ", Su G., Mertel A., Brosse S., Calabrese J.M. Nature Communications (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-38107-2

Contact

Sébastien Brosse
Évolution et Diversité Biologique (EDB–CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD)
Guohuan Su
Évolution et Diversité Biologique (EDB–CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD)
Justin M. Calabrese
Center for Advanced Systems Understanding (CASUS) Helmholtz-Zentrum Dresden-Rossendorf (HZDR), Görlitz, Allemagne