L’installation rapide des écosystèmes marins modernes après la plus grande extinction de tous les temps

Résultats scientifiques

A la fin de l’ère primaire, la plus sévère de toutes les extinctions de masse élimina plus de 80 % des espèces marines. Il a longtemps été admis que les 5 millions d’années qui suivirent l’extinction étaient caractérisées par une faible biodiversité. Cependant, cet écocide global permit l’apparition de nouveaux groupes d’organismes qui structurèrent les écosystèmes marins modernes. Le cadre spatiotemporel de l’installation de ces nouveaux types d’écosystèmes était lui aussi très mal contraint. Un nouveau gisement paléontologique chinois révèle une diversité inattendue seulement ~1 million d’années après la crise Permien/Trias (PT) et bouleverse ainsi les scénarios sur la rediversification qui suivit. Publiée dans la revue Science, cette étude a été réalisée par une équipe internationale (Chine, France, Suisse, Canada, USA) et implique 3 chercheurs du laboratoire Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne).

A la limite entre le Paléozoïque et le Mésozoïque (~252 Ma), l’extinction de masse Permien/Trias (PT) a été l’événement global le plus dévastateur jamais enregistré, avec la perte de plus de 80 % des espèces marines et la disparition des organismes typiques du Paléozoïque. Cette crise majeure dans l’histoire de la Vie et les bouleversements qui s’ensuivirent marquent aussi l’apparition de nouveaux organismes et se caractérisent par plusieurs changements marqués dans la composition et la structure des communautés marines, devenant plus complexes, et qui conduiront aux écosystèmes modernes. Durant les 5 millions d’années qui suivirent cette extinction de masse, durant tout le Trias inférieur, une forte instabilité environnementale est classiquement considérée comme la cause directe de perturbations majeures des principaux cycles biogéochimiques globaux mais aussi d’un niveau de biodiversité très faible. Une longue période de rediversification post-crise PT, très lente, semblait ainsi caractériser le Trias inférieur. En conséquence, de très nombreuses incertitudes demeuraient quant aux lieux et calendriers d’apparition et d’installation des écosystèmes de type moderne suite à cette extinction de masse.

Depuis plusieurs années, une équipe internationale coordonnée au laboratoire Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne) révise les nombreux modèles de rediversification post-crise PT. Ce groupe de recherche a mis notamment au jour en 2017 et 2021 des gisements paléontologiques exceptionnels dans le Sud-Est de l’Idaho et au Nevada, USA (« le Paris Biota »1 2 ) contenant une biodiversité exceptionnelle et inattendue, mettant en évidence une biodiversité bien plus importante et complexe qu’attendue seulement ~3 millions d’années après la crise PT, questionnant ainsi les modèles couramment admis.

Grâce à une nouvelle collaboration internationale, coordonnée par l’Université des Géosciences de Wuhan, Chine, une nouvelle étape est aujourd’hui franchie par la découverte d’un nouveau gisement paléontologique exceptionnel, le « Guiyang Biota », révélant une biodiversité importante et complexe datant de seulement ~1 million d’années après la crise PT. Cette fenêtre ouverte sur le monde post-crise PT est surprenante car ce gisement contient plus d’une quarantaine d’espèces appartenant à 19 ordres d’organismes différents. Les poissons osseux y sont notamment très diversifiés et dominent cet assemblage, ce qui est très inhabituel pour le Trias inférieur. Les tailles de ces individus (>1m) indiquent aussi que de grands prédateurs étaient présents rapidement après la crise PT. Leur condition de fossilisation est aussi exceptionnelle, permettant une étude fine de leurs caractères anatomiques. Plusieurs groupes de crustacés se retrouvent dans cet assemblage témoignant aussi de l’existence d’un réseau trophique complexe. De plus, parmi eux se trouvent les plus anciens représentants connus de certains groupes modernes, notamment parmi les crustacés décapodes (crevettes, homards…).

Ainsi, même si les écosystèmes marins furent proches de l’annihilation lors de l’extinction de masse PT et même si les environnements du Trias inférieur demeurèrent sévèrement perturbés, le Guiyang Biota illustre une biodiversité bien plus grande et un écosystème marin bien plus complexe que prévus par les modèles couramment admis, et ce quasi immédiatement après la crise PT. Il contient également les premiers représentants de groupes modernes, encore présents dans la nature actuelle, et démontre ainsi que le Trias inférieur fut une période clef dans l’histoire de la Vie illustrant la fantastique résilience du vivant après une extinction de masse. Toutefois, même si le rétablissement d’écosystèmes diversifiés après l’extinction de masse PT fut rapide à l'échelle des temps géologiques (~1 million d’années), cela nous oblige à considérer que l’extinction massive dans laquelle nous avons engagé notre planète débouchera sur un processus de récupération très long à l’échelle humaine, se déroulant au minimum sur plusieurs dizaines de milliers de générations.
 

gisement paleontologique
Le gisement paléontologique de Gujiao (Guizhou, Chine du Sud), contenant le nouveau Guiyang Biota. Crédits : Xu Dai.
fossils du site de Guiyang Biota
Quelques fossiles remarquables trouvés dans le Guiyang Biota (Guizhou, Chine du Sud), daté du Dienérien (~1 million d’années après l’extinction de masse Permien/Trias), Trias inférieur, et photographiés sur le terrain. A : poisson cœlacanthe indéterminé encore dans les niveaux fossilifères (taille du marteau ~30 cm) ; B :  poisson Teffichthys elegans (longueur ~20 cm) ; C : poisson Watsonulus sp. (longueur ~25 cm) extrait d’un nodule ; D : crustacé Cyclida (longueur ~1.5 cm) ; E : crevette Aegearidae (longueur ~2 cm)  ; F : nageoire caudale de poisson cœlacanthe (longueur ~20 cm). Photos : Xu Dai

Ce travail a notamment bénéficié d’un support financier par le Programme TelluS - Interrvie de l’Institut national des sciences de l'univers du CNRS, un projet ISite-BFC et un BQR de l’Université de Bourgogne.

  • 1Brayard A. et al. 2017: Unexpected Early Triassic marine ecosystem and the rise of the Modern evolutionary fauna. Science Advances, 3: e1602159.
  • 2Smith C.P.A. et al. 2021. Exceptional fossil assemblages confirm the existence of complex Early Triassic ecosystems during the early Spathian. Scientific Reports, 11: 19657.

Laboratoire CNRS impliqué

  • Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne)

Référence

A Mesozoic fossil lagerstätte from 250.8 million years ago shows a modern-type marine ecosystem. Xu Dai, Joshua H. F. L. Davies, Zhiwei Yuan, Arnaud Brayard, Maria Ovtcharova, Guanghui Xu, Xiaokang Liu, Christopher P. A. Smith, Carrie E. Schweitzer, Mingtao Li, Morgann G. Perrot, Shouyi Jiang, Luyi Miao, Yiran Cao, Jia Yan, Ruoyu Bai, Fengyu Wang, Wei Guo, Huyue Song, Li Tian, Jacopo Dal Corso, Yuting Liu, Daoliang Chu, Haijun Song. Science.

Contact

Arnaud Brayard
Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne)
Alexandre Pohl
Biogéosciences (CNRS/COMUE UBFC)