Interaction entre le climat, le sol, les perturbations et la végétation sont des éléments clés à prendre en considération pour comprendre les écosystèmes herbacés anciens

Utilisons les écosystèmes herbacés anciens pour fixer des objectifs ambitieux de restauration écologique

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les écosystèmes herbacés (prairies, savanes) abritent une grande biodiversité et contribuent à la subsistance de plus d'un milliard de personnes. La restauration écologique de ces écosystèmes a reçu peu d'attention en raison de la supposition fausse selon laquelle ils se sont formés récemment et peuvent se reconstituer rapidement. Dans une synthèse publiée dans Science, quatre chercheures résument les récentes connaissances sur ces écosystèmes avec l’ambition d’améliorer leur restauration écologique. 

La référence ou l’écosystème de référence est un concept clé en écologie de la restauration (interventions visant à accélérer ou à guider le rétablissement d’écosystèmes endommagés ou détruits par les activités humaines). Il permet de définir les caractéristiques désirées pour l’écosystème à restaurer, de guider le projet de restauration et d’évaluer son succès. Dans le cadre de projets de restauration d’écosystèmes forestiers, les forêts anciennes servent souvent de référence. Ces forêts matures sont définies par la présence de gros arbres anciens, d’arbres morts, d’une communauté d’arbres diversifiée avec une structure complexe, qui nécessitent un certain temps pour leur développement. Récemment, le concept de « forêts anciennes » a été étendu aux écosystèmes herbacés : les écosystèmes herbacés anciens s’assemblent sur des siècles, contiennent un grande diversité d’espèces, des espèces pérennes longévives et une proportion conséquente d’espèces ayant des structures souterraines à partir desquelles elles peuvent se régénérer après une perturbation naturelle comme le feu (Figure 1).

Exemples d’écosystèmes herbacés anciens.
Figure 1. Exemples d’écosystèmes herbacés anciens. Pour chacun, nous indiquons entre parenthèses s’ils se maintiennent grâce à des perturbations (comme le feu ou l’herbivorie) ou si leur environnement les contraint (env., sol ou climat). (A) Prairie côtière, Point Reyes, Californie, USA (perturbations). (B) Pelouses dans la chaîne de l’Espinhaço, Minas Gerais, Brésil (env., sol + perturbations). (C) Pelouse subtropicale, Rio Grande do Sul, Brésil (perturbations). (D) Pelouse alpine, Sierra Segura, Andalousie, Espagne. (E) Pelouse méditerranéenne, sud de la France (perturbations). (F) Pelouse de Cedarberg, Afrique du sud (perturbations). (G) Savane, Parc National de Pilanesberg, Afrique du sud (perturbations). (H) Savane, Parc National de Kruger, Afrique du sud (perturbations). (I) Pelouses et savanes à Tapia (Uapaca bojeri), Ibity, Madagascar (perturbations). Crédit photos E. Buisson.

 Un écosystème herbacé peut se maintenir ouvert du fait de son environnement, comme par exemple un sol très superficiel ou des températures trop basses en hiver pour permettre la croissance des arbres (Figure 2). Dans ce cas, le choix de la référence est simple : il s’agit de l’écosystème herbacé ancien en question. Plus souvent, les écosystèmes herbacés se maintiennent ouverts et diversifiés grâce à des perturbations (comme le feu ou l’herbivorie) et peuvent se retrouver en mosaïque avec des écosystèmes forestiers (Figure 2). Dans ces situations, il n’est pas évident de savoir si un écosystème herbacé donné est un écosystème herbacé ancien, un écosystème herbacé secondaire, c’est-à-dire un écosystème herbacé ancien dégradé ou encore un écosystème herbacé issu de la déforestation (nommé derived-grasslands en anglais et processus nommé savanisation en français, ce qui porte à confusion avec les véritables savanes qui sont des écosystèmes herbacés anciens). Pour le savoir, des études écologiques ou paléoécologiques peuvent être nécessaires. Si un projet de restauration est mené, le choix de la référence dépend alors du type d’écosystème herbacé identifié (secondaire ou issu de déforestation), des besoins locaux et des moyens, tout en prenant en compte les effets attendus du changement climatique.

Interaction entre le climat, le sol, les perturbations et la végétation sont des éléments clés à prendre en considération pour comprendre les écosystèmes herbacés anciens
Figure 2. Interaction entre le climat, le sol, les perturbations et la végétation sont des éléments clés à prendre en considération pour comprendre les écosystèmes herbacés anciens (modifiée de Buisson et al. 2019 ; dessins fournis par S. Le Stradic). Sur la plupart des sols, l’existence des écosystèmes herbacés est déterminée par des perturbations (feu, herbivorie) (en jaune). L’installation des arbres est limitée par ces perturbations. Certains écosystèmes herbacés sont contraints (en gris) par des sols peu drainés (saturés ou inondés), des sols avec une faible capacité de rétention de l’eau (sols superficiels, pierreux), des sols avec une fertilité particulièrement faible, des températures froides ou des précipitations trop faibles pour permettre l’installation des arbres. Dans les forêts (en vert), le recouvrement arboré dense limite la productivité des plantes herbacées et donc la fréquence des feux et l’abondance des herbivores. L’espace rayé vert et jaune représente une végétation en transition entre des états alternatifs : les écosystèmes herbacés anciens et les forêts coexistent en mosaïque dans ces paysages. 

Les principales menaces pour les écosystèmes herbacés anciens ont récemment été identifiées. Les changements de régimes de perturbations (par exemple, la réduction du nombre ou de la diversité des herbivores, le surpâturage, l’exclusion des feux) dégradent ces milieux. Plus ces changements durent, plus il y a de risques que les structures souterraines des plantes soient affectées, limitant ainsi leur résilience. Ces changements peuvent également faciliter la colonisation des espèces exotiques envahissantes, des arbres ou arbustes.
Les dégâts les plus importants sont infligés lorsque le sol est perturbé, par exemple par l’agriculture, le labour, l’extraction de minerais ou l’afforestation (la plantation d’arbres). Une méta-analyse de 31 études de par le monde montre que les écosystèmes herbacés secondaires mettent des siècles à récupérer une composition similaire aux écosystèmes herbacés anciens sans jamais l’atteindre, car il manque toujours les espèces les plus caractéristiques de ces milieux, c’est-à-dire les espèces longévives et celles avec des structures souterraines.


Afin de restaurer les écosystèmes herbacés en utilisant les écosystèmes herbacés anciens en référence, il faut prendre en compte les feedbacks entre les perturbations maintenant ces milieux ouverts et diversifiés, le sol, la végétation ainsi que les changements de ces feedbacks au fur et à mesure que la végétation se restaure, ce qui nécessite de nombreuses recherches et des adaptations régulières (Figure 3). De plus, les techniques visant à accélérer le rétablissement de la banque de bourgeons et des organes souterrains n'en sont qu'à leurs balbutiements et doivent être développées.

Différents types de dégradation peuvent mener à différents niveaux de perte de fonctions ou de diversité pour les écosystèmes herbacés anciens. La résilience ou la restauration sont dépendantes du degré de changements fonctionnels ou de composition.
Figure 3. Différents types de dégradation peuvent mener à différents niveaux de perte de fonctions ou de diversité pour les écosystèmes herbacés anciens. La résilience ou la restauration sont dépendantes du degré de changements fonctionnels ou de composition. (inspirée de Nerlekar & Veldman 2020 ; dessins fournis par S. Le Stradic). (A) La trajectoire de rétablissement d’un écosystème herbacé dégradé (sphères jaunes) vers l’écosystème herbacé ancien (en haut à gauche) dépendent du type de dégradation (flèches rouges) ainsi que des feedbacks végétation-sol-perturbation à chaque étape (flèches bleues). La dégradation des sols (par exemple par le labour) peut mener au franchissement d’un seuil d’irréversibilité (trait gris) rendant la restauration difficile voire impossible. La colonisation par les arbres, arbustes ou espèces envahissantes peut mener l’écosystème sur des trajectoires alternatives. Des interventions de restauration répétées (flèches vertes pointillées) qui prennent en compte les feedbacks peuvent accélérer le processus de rétablissement. (B) Les forêts ont des dynamiques similaires, où le rétablissement vers les forêts anciennes peut être difficile voire impossible. Une étape de rétablissement juste après la déforestation peut être herbacée (derived-grasslands ou « savanisation »). Des interventions de restauration peuvent accélérer le processus de rétablissement (flèches vertes pointillées).

Alors que nous entrons dans la Décennie des Nations Unies pour la Restauration des Écosystèmes, les progrès et efforts en écologie de la restauration (science) et en restauration écologique (pratique) sont essentiels si nous souhaitons lutter contre la perte des écosystèmes herbacés anciens et le déclin de leur biodiversité.
Dans la ruée vers des solutions fondées sur la nature pour lutter contre le changement climatique, la plantation d'arbres dans les écosystèmes herbacés est devenue synonyme de restauration dans de nombreuses régions. En même temps, la demande en terres arables continue d’augmenter. Ces destructions sont irréversibles, ignorant le stock de carbone souterrain dans ces écosystèmes herbacés anciens ainsi que les difficultés voire l’impossibilité à restaurer leur biodiversité et leur complexité.

Laboratoire CNRS impliqué

Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie (IMBE - CNRS / IRD / Avignon Université / Aix Marseille Université)

Objectifs de Développement durable

 pictODD

  • ODD 6 - Eau propre et assainissement : la plantation d'arbres dans les écosystèmes herbacés est devenue synonyme de restauration dans de nombreuses régions alors que les arbres ainsi plantés au mauvais endroit peuvent consommer de grandes quantités d’eau et perturber l’hydrologie locale, le rechargement des nappes et des cours d’eau. 
  • ODD 15 - Vie terrestre : cette étude rappelle l'importance de planter un arbre au bon endroit et non dans des écosystèmes herbacés anciens, et de protéger notre environnement (les écosystèmes herbacés abritent une grande diversité d’animaux et de plantes et contribuent aux moyens de subsistance de plus d'un milliard de personnes dans le monde).

Référence

Elise Buisson, Sally Archibald, Alessandra Fidelis, Katharine N. Suding. Ancient grasslands guide ambitious goals in grassland restoration. Science. 2022.

Contact

Elise Buisson
Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale (IMBE-CNRS/Aix-Marseille Université/IRD/Avignon Université)
Elodie Brisset
Communication - Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie (IMBE - CNRS / IRD / Avignon Université / Aix Marseille Université)