Cinquante nuances de transparence chez les papillons

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Le casque d'Hadès, l’anneau de Gygès, l’homme invisible, la cape de Harry Potter… L’invisibilité fascine depuis toujours. A défaut d’être totalement invisibles, certains papillons ont des ailes en partie transparentes, et sont ainsi moins détectables par les prédateurs. Une équipe interdisciplinaire et internationale s’est penchée sur le cas énigmatique de papillons toxiques aux ailes transparentes, bien que colorées par endroit. Alors qu’il est admis que les motifs colorés de ces papillons sont utilisés par les prédateurs pour reconnaître les proies non comestibles, cette étude, publiée dans la revue eLife, révèle que les caractéristiques optiques des zones transparentes sont également importantes dans cette reconnaissance, et met à jour une étonnante diversité de structures générant la transparence chez les différentes espèces de papillons.

transparence papillons
Les papillons Hypomenitis enigma (en haut à gauche) et Godyris panthyale (en haut à droite) contiennent des toxines et partagent un même motif combinant des éléments colorés et des zones transparentes. Ces motifs indiquent aux prédateurs que les papillons ne sont pas comestibles. Chez ces espèces, la transparence provient de la réduction des écailles (en bas à droite), et est renforcée par la présence de nanoprotubérances sur la membrane de l’aile (en bas à gauche). Photos papillons © Marianne Elias, clichés microscopie © Stephan Borensztajn

Les papillons de jour et de nuit forment l’ordre des lépidoptères, qui doivent leur nom aux écailles qui recouvrent leurs grandes ailes. Les écailles permettent de générer des motifs colorés, qui interviennent dans le choix du partenaire de reproduction, la régulation de la température, le camouflage, ou encore qui sont associés à la présence de toxines, et reconnus comme tels par les prédateurs avertis. On parle alors de motifs aposématiques. Les motifs aposématiques sont généralement vivement colorés et contrastés, ce qui facilite leur apprentissage par les prédateurs. Mais curieusement, en Amazonie et dans les Andes, de nombreuses espèces toxiques ont des ailes partiellement transparentes.

Intrigués par ce phénomène, des biologistes et des physiciens de France et des Etats-Unis se sont associés pour tenter de découvrir les mécanismes à l’origine de la transparence chez ces espèces. Au moyen d’un puissant microscope électronique à balayage, les chercheurs et chercheuses ont mis à jour plusieurs types de modification des écailles qui contribuent à réduire la couverture de la membrane de l’aile, donc à augmenter la transmission de la lumière à travers l’aile. Surtout, ils ont découvert une diversité insoupçonnée de minuscules protubérances sur la surface de la membrane des ailes. Ces nanoprotubérances ont pour effet de réduire considérablement la réflexion de la lumière à la surface de la membrane, allant jusqu’à produire une transparence quasi absolue.

D’autre part, en mesurant le spectre de la lumière transmise à travers les ailes transparentes de 62 espèces appartenant à six familles de papillons, puis en modélisant la perception de ces spectres par les oiseaux, leurs principaux prédateurs, les chercheurs et chercheuses ont montré que les zones transparentes participent au signal aposématique. En effet, chez les papillons aposématiques opaques, on observe fréquemment une convergence des motifs colorés entre espèces qui coexistent, sous l’effet de la sélection imposée par les prédateurs : si toutes les espèces ont le même motif, les prédateurs apprennent plus vite à les éviter, et tuent ainsi moins de papillons durant le processus d’apprentissage. Dans le cas des papillons aposématiques transparents, on trouve de la convergence non seulement pour les zones colorées, mais aussi pour les propriétés optiques des zones transparentes, ce qui indique que la sélection liée à la prédation s’applique également sur ces zones.

La transparence est ainsi générée de multiples façons chez les différentes espèces, et a évolué de nombreuses fois de façon indépendante, sous l’effet de la sélection naturelle. Cependant, l’existence de la transparence chez ces insectes aux ailes si grandes soulève d’autres interrogations, car les écailles, fortement réduites chez les espèces transparentes, sont essentielles pour la régulation de la température et l’imperméabilité des ailes. Les papillons transparents n’ont pas fini de nous livrer leurs secrets…

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - CNRS / EPHE / MNHN / Sorbonne Université)
  • Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS / EPHE / IRD / Université de Montpellier)

Objectifs de développement durable

pictODD

Objectif 15 : Vie terrestre

Cette première étude à large échelle de la transparence chez les papillons révèle un rôle inattendu de ce trait singulier, et met à jour une grande diversité de structures sous-jacentes. Ce travail s’inscrit ainsi dans un vaste corpus de recherches fondamentales visant à documenter et comprendre l’évolution de la biodiversité terrestre.

Référence

Pinna C, Vilbert M, Borensztajn S, Daney de Marcillac W, Piron-Prunier F, Pomerantz AF, Patel N, Berthier S, Andraud C, Gomez D, Elias M. Mimicry can drive convergence in structural and light transmission features of transparent wings in Lepidoptera. eLife, December 2021

Contact

Charline Pinna
Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - CNRS / EPHE / MNHN / Sorbonne Université)
Marianne Elias
Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - MNHN / CNRS / SU / EPHE)
Violaine Nicolas
Correspondant communication - Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - MNHN / CNRS / SU / EPHE)