Un tsunami a bien affecté la Crète à l’âge du Bronze
Une équipe de chercheurs français issus notamment du Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP) publie dans la revue Scientific Report la découverte de sédiments attribuables au tsunami engendré par la fameuse éruption du volcan du Santorin au cours de l’âge du Bronze, et dont l’impact sur la civilisation minoenne est depuis longtemps discuté. Les carottes de sédiments prélevés et leurs analyses effectuées prouvent qu’un tsunami a bien atteint les côtes septentrionales de la Crète, sans doute au cours du 16e s. avant notre ère, déclenchant localement une inondation de plus de 500 m à l'intérieur des terres sur une côte qui abritait de nombreux sites minoens.
La ville palatiale de Malia est l'un des principaux centres de la civilisation minoenne. Elle a prospéré pendant l’âge du Bronze moyen et final (époque minoenne), avant son abandon à la fin de l’époque minoenne au cours du 13ème avant notre ère. Située sur la côte nord de la Crète, à 120 km au sud du volcan de Santorin, elle permet d'aborder les conséquences de l'éruption du Santorin à l'âge du bronze. Cette éruption datée entre 1630 et 1525 ans avant notre ère a été l'une des plus puissantes enregistrées sur Terre au cours des 10 000 dernières années. Après des éruptions magmatiques mineures, une phase explosive caractérisée, entre autres, par des coulées pyroclastiques puis la formation de la caldeira que nous connaissons aujourd’hui, a notamment conduit à la destruction de la ville d’Akrotiri, célèbre pour ses fresques, située sur l'île de Santorin elle-même.
Dans cet article, les chercheurs rapportent les résultats inédits d'une étude géomorphologique et sédimentologique systématique d'un petit marais côtier situé immédiatement à l'ouest de la ville minoenne de Malia. L’étude de 17 carottes sédimentaires montre qu'un tsunami a impacté les environnements côtiers au cours de la fin de l’âge du Bronze, au moment de l'éruption du volcan Santorin. Les analyses sédimentologiques, de la microfaune marine, fournissent une description des dépôts du tsunami dans un contexte paléogéographique précis. Ils révèlent un événement érosif généralisé suivi localement d’un fin dépôt de sable comprenant une faune marine, plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. Ces résultats démontrent qu'un tsunami résultant de l'éruption de Santorin a atteint le marais de Malia au pied de l'un des principaux centres palatiaux de la Crète.
Alors que la date exacte de l'éruption est toujours difficile à établir et reste un enjeu scientifique majeur pour l’histoire de la Méditerranée orientale, la chronologie obtenue à partir de 50 datations radiocarbones suggère que le tsunami et l'éruption ont eu lieu au 16e s. avant notre ère. Ces datations permettent à la fois d’écarter l’idée que le tsunami a eu un rôle direct et brutal expliquant la fin de la civilisation minoenne et de proposer une chronologie compatible avec la chronologie archéologique classique.
Les modélisations les plus récentes suggèrent la génération de vagues extrêmes sur la côte nord de la Crète, de plusieurs mètres à plus de 20 m de haut. Les dépôts de tsunami étudiés et les observations archéologiques réalisées à Malia permettent de préciser cette ampleur. En effet, ils suggèrent que le tsunami n'a pas eu d'impact direct sur la partie principale de la ville minoenne établie sur un plateau situé 8-14 m au-dessus du niveau actuel de la mer. En revanche la submersion par les eaux marines a pu parcourir plusieurs centaines de mètres dans les basses plaines comme pour le marais de Malia et ses alentours, et les vagues de déferlement ont pu localement atteindre des hauteurs importantes, jusqu’à 8 m à Malia.
Ainsi cette découverte ouvre le champ à de nouvelles recherches sur le tsunami de l'âge du bronze afin de découvrir des preuves dans d’autres espaces de Crète septentrionale pour mieux cerner les conséquences sur les installations littorales et les espaces cultivés par les minoens à l’échelle régionale et plus généralement afin de pleinement comprendre l'impact géographique de l'éruption et ses conséquences sur la civilisation minoenne.
Cette étude est le fruit d’une recherche collective associant spécialistes des environnements du passé et archéologues. Elle a été principalement soutenue par plusieurs institutions françaises et en particulier le CNRS via le programme Paleomex du Chantier MISTRALs-Méditerranée, l’Ecole Française d’Athènes qui fouille le site de Malia, le Labex DYNAMITE, l’Institut Universitaire de France et les Universités de Paris-Est Créteil et de Paris Panthéon-Sorbonne.
Laboratoires CNRS impliqués
- Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP – CNRS / Université Panthéon Sorbonne / Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne)
- Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn – CNRS / Université Panthéon Sorbonne / Université Paris Nanterre / Ministère de la Culture)
- Environnement, ville et société (EVS - CNRS / Ecole nationale des travaux publics d’Etat / ENS Lyon / ENSA Lyon / Université Jean Monnet / Université Lyon 3 Jean Moulin)
- Environnements et sociétés de l'orient ancien (ARCHÉORIENT - CNRS / Université Lumière Lyon 2)
Référence
Discovery of a tsunami deposit from the Bronze Age Santorini eruption at Malia (Crete): impact, chronology, extension. Laurent Lespez, Séverine Lescure, Ségolène Saulnier‑Copard, Arthur Glais, Jean‑François Berger, Franck Lavigne, Charlotte Pearson, Clément Virmoux, Sylvie Müller Celka & Maia Pomadère. Scientific Reports. 2021