Les marchés de dépouilles en Afrique de l’Ouest : un nouveau risque sanitaire lié au commerce de la faune sauvage
Les risques sanitaires associés à l’utilisation de la faune sauvage en Afrique tropicale ont jusqu’à présent été appréhendés à travers le prisme des zoonoses propagées via la chasse et le commerce de la viande de brousse (ou gibier). Or, il existe en Afrique de l’Ouest un autre réseau commercial lié à l’utilisation de la faune sauvage, tout aussi dynamique que celui de la viande de brousse, constitué par les marchés de dépouilles ou marchés de médecine traditionnelle. Ces marchés de dépouilles ont la particularité de présenter sur leurs étals un grand nombre d’animaux dont les tissus ont été fixés afin de les conserver sur un temps long. Une étude associant des chercheurs du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB, CNRS / Univ. Toulouse III Paul Sabatier / IRD) et du Laboratoire d’Ecologie Appliquée (Université d’Abomey-Calavi) vient de montrer qu’au Bénin, une transition récente vers des techniques modernes de conservation impliquant l’utilisation récurrente d’un pesticide et d’autres produits chimiques risque d’exposer les praticiens et les consommateurs à un risque sanitaire élevé.
En Afrique tropicale, la faune sauvage (ou viande de brousse) est traditionnellement utilisée pour la consommation de viande et les pratiques culturelles, fournissant une source cruciale de nourriture et de revenus aux ménages ruraux. L’utilisation traditionnelle (médicale et religieuse) de la faune sauvage est particulièrement développée dans une zone d’Afrique de l’Ouest allant du Ghana au Nigéria, où elle est associée à la religion vaudou. Contrairement aux marchés de viande de brousse, les marchés de dépouilles dédiés à l’utilisation traditionnelle de la faune sauvage présentent sur leurs étals un assemblage cosmopolite d’animaux parfois vivants, de crânes et de corps ou parties de corps séchés (ainsi que des végétaux et des sculptures en bois). Du fait que les activités des marchés de dépouilles restent encore non réglementées, ils constituent une menace importante pour la faune et la flore d’Afrique de l’Ouest. En effet, ces marchés de dépouilles commercialisent une grande diversité d’espèces – notamment protégées – et ce parfois sur de longues distances.
L’une des spécificités de ces marchés est que les animaux qui y sont vendus ne sont pas destinés à être consommés pour leur viande. Pour conserver les corps et parties du corps sur les étals plusieurs semaines, voire plusieurs mois, les praticiens utilisent des protocoles de conservation leur permettant de préserver les animaux dans un contexte tropical favorable à la moisissure et au pourrissement des tissus. Bien que les marchés de dépouilles attirent chaque jour plusieurs millions de clients en Afrique de l’Ouest, les techniques de conservation et l’impact que ces dernières peuvent avoir sur la santé humaine restaient à ce jour inconnues.
Les résultats de l’étude, publiés dans la revue One Health, sont à l’origine d’un programme commun de veille du commerce de la faune sauvage au Bénin (RADAR-BE), à travers notamment les investigations d’un doctorant béninois. A partir d’une approche « boule de neige » impliquant 40 marchés de dépouilles, 45 praticiens opérant sur six marchés ont répondu à un questionnaire semi-structuré sur les pratiques liées à la conservation des animaux vendus sur leurs étals. A ce questionnaire se sont associées des observations directes des pratiques effectuées sur les marchés.
Les travaux de cette étude révèlent un changement récent des protocoles de conservation des animaux sur les marchés de dépouilles, qui pourrait impliquer un risque sanitaire élevé pour les vendeurs opérant sur les marchés et les consommateurs des produits animaux. Les techniques traditionnelles de fixation des tissus, telles que rapportées par les praticiens, sont inoffensives pour l’environnement et l’humain. Elles consistent à utiliser le soleil, la cendre, le sable de mer ou la poudre des spadices de palmier, afin de sécher et dégraisser l’animal qui sera vendu. Bien qu’elles restent utilisées aujourd’hui encore par une majorité de praticiens, les chercheurs montrent que depuis une cinquantaine d’années, ces pratiques ont été associées à de nouvelles méthodes faisant appel à l’utilisation de produits chimiques. Le kérosène est le premier produit à avoir été introduit, et reste très largement utilisé (ca. 98 % des praticiens enquêtés) : dans 80 % des cas, il est utilisé en combinaison avec le sel pour à la fois fixer l’animal et le préserver des attaques d’arthropodes.
Résultat inattendu, le Sniper, insecticide organophosphoré à base de Dichlorvos et dont l’utilisation est interdite au sein de l’Union européenne, est mentionné par 71 % des praticiens comme un produit régulièrement utilisé depuis une dizaine d’années (l’association sel et Sniper est mentionnée dans 51 % des cas). En association avec le kérosène, le Sniper est utilisé plusieurs fois par semaine sur les étals, tout particulièrement lors de la saison des pluies, afin de maintenir la fixation des tissus animaux vendus sur les marchés.
Avec une dose létale orale estimée autour de 50-500 mg/kg et une demi-vie de 20-23 jours, le Dichlorvos représente une menace sérieuse pour les humains régulièrement en contact avec la molécule. Pourtant, aucune mesure de protection n’est mise en place par les vendeurs et leurs jeunes apprentis lors de l’utilisation du Sniper. L’étude pointe la question des risques sanitaires liés aux pratiques de conservation des animaux vendus sur les marchés de dépouilles, risques qui pourraient s’étendre aux grands marchés urbains qui abritent très souvent ces marchés de dépouilles, comme celui de Dantokpa (Cotonou) pouvant drainer jusqu’à 1,5 million de clients par jour.
Plusieurs questions restent en suspens afin de mieux appréhender l’impact sanitaire de l’utilisation du Sniper dans les marchés de dépouilles d’Afrique de l’Ouest :
- Quelle quantité de Dichlorvos est versée sur les tissus animaux, et quelle est la demi-vie de la molécule sur ce substrat en particulier?
- Quelle est la quantité de tissus animaux réellement consommée dans le cadre des pratiques traditionnelles ?
- Combien de personnes consomment des animaux vendus sur les marchés de dépouilles, et à quelle fréquence ?
Cette étude démontre que les risques sanitaires liés au commerce de la faune sauvage ne se limitent pas à la transmission de zoonoses. Dans un premier temps, les auteurs recommandent qu’un suivi médical des praticiens des marchés de dépouilles au Bénin soit effectué d’urgence afin d’évaluer l’impact des produits chimiques sur leur santé.
Compte tenu du large réseau que constituent les marchés de dépouilles en Afrique de l’Ouest, l’utilisation non contrôlée du Sniper peut être considérée comme une « bombe à retardement » pour la santé publique dans la sous-région. Les futurs enjeux seront de lever les verrous politico-culturels (les marchés de dépouilles sont liés à la religion Vaudou) et commerciaux (le Dichlorvos est très largement utilisé en Afrique, notamment en agriculture, mais aussi à des fins domestiques) afin de pouvoir repenser l’utilisation des animaux en médecine traditionnelle, dans l’intérêt à la fois de la conservation de la biodiversité et de la santé humaine.
Les objectifs de développement durable
- ODD 3 - Bonne santé et bien-être
- ODD 15 - Vie terrestre
Les résultats présentés dans cette étude soulignent la connexion entre commerce de faune sauvage et risques sanitaires, cette fois-ci par le biais des produits chimiques utilisés dans la fixation des tissus animaux vendus sur les marchés de dépouilles en Afrique de l’Ouest.
Références
“Preservative chemicals as a new health risk related to traditional medicine markets in western Africa”, Stanislas Zanvo, Chabi A.M.S.Djagoun, Akomian F.Azihoua, Brice Sinsin & Philippe Gaubert, One Health, vol. 13, p. 100268.