Attrape-moi si tu peux ! Comment des papillons dissuadent les prédateurs de les attaquer au moyen de leurs motifs colorés.
Il est bien connu que des espèces d’insectes défendues par des toxines portent des motifs vivement colorés qui sont reconnus et évités par les prédateurs, et que les espèces toxiques exposées aux mêmes prédateurs partagent souvent ces motifs. Une équipe internationale impliquant le MNHN, le CNRS et Sorbonne Université, dont deux chercheuses de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - MNHN / CNRS / SU / EPHE) vient de publier dans Proceedings of the Royal Society B une étude qui montre que l’évolution et la convergence de tels motifs sont également possibles chez des espèces protégées, non par des toxines, mais par leur capacité à s’enfuir et à échapper aux prédateurs.
On trouve chez les insectes des exemples extraordinaires de camouflage, témoignant de la forte pression de sélection exercée par les prédateurs. A l’inverse, certaines espèces, en particulier chez les papillons, arborent des motifs vivement colorés. Nombre de ces espèces colorées sont défendues par des toxines : les prédateurs, au prix d’expériences gustatives fort désagréables, apprennent rapidement à reconnaître les motifs colorés et évitent d’attaquer les proies au goût déplaisant. Ainsi, chez les proies, seuls quelques individus sont tués par les prédateurs, lors du processus d’apprentissage. Il est fréquent que des espèces de proies toxiques exposées aux mêmes prédateurs portent des motifs colorés semblables. Une telle ressemblance est en effet avantageuse car, si différentes espèces toxiques ont la même apparence, le coût en termes de mortalité liée à l’apprentissage des prédateurs est partagé entre ces espèces. Ce phénomène, résultat d’une convergence évolutive et connu depuis le XIXe siècle, est nommé mimétisme.
Curieusement, on observe parfois une convergence de motifs colorés entre des espèces de papillons qui sont toutes dépourvues de toxines. Il s’agit en général d’espèces au vol très vif, difficiles à attraper. Les excellentes capacités de fuite de ces espèces ne pourraient-elles pas, à l’instar des toxines, favoriser l’évolution et la convergence de motifs colorés avertissant les prédateurs que le jeu n’en vaut pas la chandelle ? On aurait alors du mimétisme lié à la difficulté de capture des proies, et non à des toxines. Pour qu’une telle convergence puisse évoluer, il est nécessaire que les prédateurs soient capables d’associer des motifs colorés à la difficulté de capture des proies qui les portent, et de mémoriser ces motifs, voire de les généraliser à des motifs proches.
C’est ce qu’a voulu tester Erika Paez, une doctorante de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB - MNHN / CNRS / SU / EPHE), entourée d’une équipe internationale de chercheurs. Erika Paez a fabriqué des centaines de proies artificielles en s’inspirant de papillons d’Amérique tropicale du genre Adelpha, au sein duquel on soupçonne du mimétisme lié à la difficulté de capture des espèces. A l’aide d’un dispositif expérimental permettant de soustraire les papillons artificiels aux attaques d’oiseaux, Erika Paez et ses collaborateurs ont pu montrer que ces prédateurs sont capables d’apprendre à associer un motif à la difficulté de capturer des proies, de mémoriser ce motif, et de le généraliser à des motifs proches. Ces résultats montrent ainsi la possibilité d’évolution et de convergence de motifs colorés qui signalent aux prédateurs que ces proies sont trop difficiles à capturer. Ce nouveau type de mimétisme est probablement ce qui explique la ressemblance frappante observée dans la nature entre des espèces de papillons dépourvues de toxines, comme celles du genre Adelpha.
Enfin, en comparant le comportement des oiseaux face à des proies artificielles difficiles à capturer et à des proies au goût très amer, les chercheurs ont montré que l’apprentissage est plus rapide et la généralisation plus étendue lorsque les oiseaux sont confrontés à des proies difficiles à capturer que dans le cas des proies amères. En effet, lorsqu’un prédateur a faim, il vaut mieux qu’il mange quelque chose, même si cela a très mauvais goût, plutôt que rien du tout.
L’ensemble de ce travail suggère donc que la sélection associée à la difficulté de capture peut influencer l’évolution de motifs colorés des proies. Cette sélection, dont la réalité n’était jusqu’à présent pas établie, est probablement une force évolutive importante pour les motifs colorés chez les insectes.
Les objectifs de développement durable
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ODD 15 : Vie terrestre
Cette étude, qui démontre la possibilité d’évolution de mimétisme lié à la difficulté de capture de proies comestibles, contribue à la compréhension de la biodiversité terrestre.
Références
Páez E, Valkonen JK, Willmott KR, Matos-Maraví P, Elias M, Mappes J. 2021. Hard to catch: experimental evidence supports evasive mimicry. Proc. R. Soc. B, 20203052.