Première datation argon-argon de tectites en association directe avec des bifaces en Chine : qu’en est-il de l’Acheuléen en Chine ?
La datation par la méthode argon-argon (40Ar/39Ar) de tectites du site préhistorique de Nalai, localisé dans le célèbre bassin de Bose en Chine, a permis de donner un âge direct de 800 000 ans à son industrie lithique composée de bifaces. Cette datation apporte un repère chronologique indiscutable à l’Acheuléen dans cette région, ravivant le débat sur l’émergence de ce dernier en Chine : s’agit-il d’une évolution culturelle locale ou est-il dû à une dispersion d’hominidés, d’un « Out-of-Africa » en provenance d’Afrique et du Levant ? Cette étude a été menée par des chercheurs français du laboratoire Cultures et Environnements Préhistoire, Antiquité, Moyen-Âge (CEPAM - CNRS / Université Côte d’Azur / Nice), du Département de Préhistoire du laboratoire Histoire naturelle de l'Homme préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / IPH / Paris), de l’Institut de Recherche sur les Archéomatériaux (IRAMAT - CNRS / COMUE UBFC / Univ. Orléans / Univ Bordeaux Montaigne), et du laboratoire Géoazur (CNRS / OCA / IRD), en collaboration étroite avec des chercheurs chinois du Collège des Arts Appliqués de Pékin, du Collège des Sciences Géographiques de Nanjing, du Muséum de Guangxi et du Muséum de Bose. Les résultats sont publiés dans la revue Journal of Human Evolution.
Jusqu’à présent la contemporanéité des tectites et des outils lithiques, dont des bifaces, dans des sites préhistoriques du bassin de Bose, dans le Sud-Ouest de la Chine, était mise en doute. De récents travaux auxquels ont contribué des chercheurs français du laboratoire Cultures et Environnements Préhistoire, Antiquité, Moyen-Âge (CEPAM - CNRS / Université Côte d’Azur / Nice), du Département de Préhistoire du laboratoire Histoire naturelle de l'Homme préhistorique (HNHP - CNRS / MNHN / IPH / Paris), de l’Institut de Recherche sur les Archéomatériaux (IRAMAT - CNRS / COMUE UBFC / Univ. Orléans / Univ Bordeaux Montaigne), et du laboratoire Géoazur (CNRS / OCA / IRD), lèvent le doute en montrant pour la première fois des tectites découvertes en association directe avec des bifaces dans des niveaux archéologiques dans le site préhistorique de Nalai, une localité du bassin de Bose. Celui-ci compte une centaine de sites préhistoriques de la même période découverts sur une vaste surface de 80 km de long et 15 km de large. Les sites préhistoriques sont en particulier localisés sur la 4ème terrasse (T4) de la rivière Youjiang (Figure 1).
Les tectites sont des verres naturels contenant du potassium permettant la datation 40Ar/39Ar dérivée de la méthode K-Ar, formés par la fusion de la croûte continentale lors de l’impact d’une météorite. La composition des éléments majeurs des tectites, déterminée à l’Institut de Recherche sur les Archéomatériaux (IRAMAT - CNRS / COMUE UBFC / Univ. Orléans / Univ Bordeaux Montaigne), montre qu’elles appartiennent au groupe des tectites australasiennes dispersées dans les vastes régions de l’Asie, l’Australie et l’Antarctique, à la suite de l’impact d’une météorite situé en Indochine ou au sud du Laos, il y a 790 000 ans. A Nalai, l’outillage et les tectites proviennent des mêmes sédiments latérisés des niveaux supérieurs de la terrasse T4. Le site s’étend sur 30 000 m2, et plus de 3 000 outils et 300 tectites y ont été découverts. La datation par la méthode 40Ar/39Ar de quatre tectites découvertes en étroite association avec des bifaces et par conséquent contemporains, a été appliquée par Fusion Totale (TF) (Géoazur - CNRS / OCA / IRD) (Figure 2).
Les tectites de Nalai sont anguleuses et ne montrent pas de signes d’abrasion fluviatile et de remaniement. Les outillages de Nalai sont similaires à ceux des autres sites du Bassin de Bose, avec des assemblages composés majoritairement d’outils sur galet, de bifaces (Figure 2), de pics, et d’outils unifaciaux. Ils sont proches de ce qui est observé en Eurasie et Afrique, classiquement désigné comme Acheuléen (également Mode 2). Les bifaces présentent toutefois quelques caractéristiques propres à la Chine, à savoir des bifaces partiellement aménagés sur gros galet épais. Ce trait est à l’origine du débat sur l’origine de cette technologie en Chine, locale ou introduite, et de l’impact des conditions environnementales sur les stratégies des hominidés et de leur capacité d’adaptation à de nouveaux milieux.
Au total, pour cette étude dont les résultats sont publiés dans Journal of Human Evolution, 55 Fusions Totales ont été réalisées et l’ensemble des analyses 40Ar/39Ar conduisent à un âge moyen pondéré de 809 ± 12 ka et à une distribution gaussienne centrée à 796,6 ± 5,7 ka. Des isochrones inverses ont également été tracés pour chacune des quatre tectites. Les âges isochrones obtenus sont dispersés entre 772 et 845 ka. Globalement, l’âge des tectites se situe à environ 800 000 ans, montrant qu’elles font bien partie du groupe des tectites australasiennes et permettent ainsi de donner un âge précis à cette industrie acheuléenne en Chine. Le débat sur l’origine des bifaces et de l’Acheuléen en Chine reste ouvert.
Référence
Véronique Michel, Xiaobo Feng, Guanjun Shen, Dominique Cauche, Marie-hélène Moncel, Sylvain Gallet, Bernard Gratuze, Jiang Wei, Xiaorong Ma, Kangti Liu. First 40Ar/39Ar analyses of Australasian tektites in close association with bifacially worked artifacts at Nalai site in Bose Basin, South China: The question of the early Chinese Acheulean. Journal of Human Evolution, Elsevier, 2021, 153, pp.102953.