Les plus anciens objets fabriqués en os de baleine identifiés dans la Péninsule Ibérique (ca. 18.000 ans)
Une étude impliquant des chercheurs français et espagnols, dont le laboratoire Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES – CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture) signale la découverte de plus d’une cinquantaine d’artefacts fabriqués en os de baleine - pour les plus anciens vieux de ca. 18.000 ans - dans les collections archéologiques de la côte nord atlantique de la Péninsule Ibérique. Cette étude révèle l’existence d’adaptations littorales précoces partagées, selon des réseaux de communication réguliers et structurés à longues distances, par les communautés de chasseurs-collecteurs préhistoriques qui vivaient au bord du Golfe de Gascogne à la fin de la dernière glaciation. Elle est publiée dans la revue Quaternary Science Reviews.
Autour du Golfe de Gascogne, les interactions entre les humains et les baleines font partie d’une (pré)histoire multimillénaire. Bien avant que la chasse industrielle ne décime la plupart des populations de baleines, les grands cétacés ont constitué une ressource non négligeable pour la subsistance des groupes humains passés. Parmi les premiers indices témoignant de l’exploitation des baleines, plus d’une centaine d’armes et outils fabriqués en os de grands cétacés ont été reconnus dans des sites archéologiques nord pyrénéens datés du Magdalénien (entre 17.500 et 15.000 années avant le présent). En l’absence de recherches systématiques en dehors de ce secteur, se posait la question d’une éventuelle adaptation locale des chasseurs-collecteurs pyrénéens vis-à-vis de cette ressource marine singulière. La quasi absence de ce type d’objets dans la région cantabrique voisine apparaissait particulièrement surprenante (seulement deux exemplaires suspectés jusque-là). En effet, non seulement les sites cantabriques sont plus proches du littoral atlantique que leurs homologues pyrénéens, mais en outre, ils ont livré, plus que tout autre territoire en Europe, des restes d’origine marine. Afin de vérifier si l’exploitation technique des ossements de baleine était un phénomène local ou s’il fut plus amplement partagé par l’ensemble des communautés atlantiques, une équipe scientifique impliquant notamment le laboratoire Travaux de Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES – CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la Culture) a pisté la présence d’objets fabriqués en os de grands cétacés en dehors des Pyrénées.
Le matériel issu de 64 sites cantabriques a été examiné incluant des collections anciennes et récentes. 54 artefacts fabriqués en os de baleine, provenant de 12 sites, ont été reconnus, en raison des caractéristiques singulières de ce matériau (Fig. 1). Il s’agit essentiellement d’objets de grandes dimensions liés à l’armement (i.e., des pointes de projectile et des éléments intermédiaires d’emmanchement). La mesure de leur âge – estimé entre 17.800 et 15.500 années avant le présent – a été obtenue principalement par la datation indirecte de restes retrouvés proches en stratigraphie. Ils constituent les plus vieux artefacts fabriqués en os de baleine à ce jour connus dans la Péninsule ibérique. En l’absence de déchet de fabrication associé aux objets, et parce que ces artefacts sont entièrement finis, il est impossible de retracer ni comment la matière première a été transformée par l’homme, ni comment elle fut acquise. L’hypothèse pour l’instant retenue suggère le charronnage de carcasses de grands cétacés échoués sur les plages atlantiques.
La distribution de ces objets dans un nombre limité de sites étendus sur l’ensemble de la corniche cantabrique suggère l’existence de « sites récepteurs » dans lesquels ces objets finis ont été importés. Ces sites s’intègrent dans un réseau, reliant de multiples vallées, étendu vers les Pyrénées. À plus grande échelle, la circulation de ces objets dessine des réseaux de communication réguliers et structurés de part et d’autre de l’actuel Pays Basque franco-espagnol (Fig. 2). La structuration de ces réseaux et leur apparente synchronie posent d’intéressantes questions sur la nature des relations socio-économiques partagées par les chasseurs-collecteurs qui peuplaient l’espace pyrénéo-cantabrique à cette période ancienne.
L’accumulation croissante de restes d’origine marine découverts ces dix dernières années dans les sites magdaléniens atlantiques, à laquelle s’ajoutent les résultats de cette étude, publiés dans la revue Quaternary Science Reviews, renforce l’hypothèse selon laquelle le Golfe de Gascogne aurait connu, dès la fin du Paléolithique récent, l’émergence des premières économies littorales organisées, régulières et diversifiées.
Cette recherche est le fruit d’une collaboration entre les laboratoires Traces (UMR 5608, Toulouse) et EvoAdapta (UC, Santander) ; elle a été financée essentiellement par une bourse de la fondation Fyssen (projet CetOs – UC, IIIPC) et par le projet ANR PaleoCet (ANR-18-CE27-0018).
Les objecifs de développement durable
- ODD 14 : Vie aquatique
Cette recherche s’inscrit dans l’Objectif de Développement Durable n°14 sur le respect de la vie marine. Elle contribue à réaffirmer l’impact destructeur des pratiques modernes sur le maintien de la biodiversité multimillénaires des océans. Alors que les interactions entre les hommes préhistoriques et les baleines sont documentées depuis le Paléolithique récent, les populations actuelles de grands cétacés, décimées par plusieurs siècles de pêche industrielle, ne sont que le pâle reflet de ce qu’elles furent par le passé.
Références
Interconnected Magdalenian societies as revealed by the circulation of whale bone artefacts in the Pyreneo-Cantabrian region. A.Lefebvre, A.B.Marín-Arroyo, E.Álvarez-Fernández, M.De la Rasilla Vives, E. DuarteMatías, M.CuetoeJ.Tapia, E.Berganza, J.-M.Pétillon. Quaternary Science Reviews