Effondrement des populations d’invertébrés du Lac Victoria
Les grands lacs de l’Est africain, dont le Lac Victoria, abritent les écosystèmes d’eau douce les plus riches en espèces de la planète. Cependant, la région écologique du lac Victoria et ses lacs et rivières avoisinantes ont été fortement perturbées par divers changements anthropiques dont l’introduction d’une espèce envahissante, la perche du Nil, et les pêcheries industrielles. Auparavant, cette écorégion a subi des phases d’aridité prononcées au cours du dernier million d’années. Les conséquences de tels changements récents et historiques ont été décrites pour la radiation des poissons de la famille des cichlidés. Les effets de ces changements environnementaux sur la diversité des invertébrés d’eau douce restent pourtant largement inconnus. Une nouvelle étude montre un effondrement majeur des populations de gastéropodes, qui a commencé il y a environ 150 000 ans, et qui est intensifié par les changements environnementaux récents. Comprendre les conséquences de ces transformations écologiques est essentiel pour le maintien de la biodiversité, la gestion de la pèche et la durabilité des fonctions socio-économiques de ces écosystèmes.
Abritant une radiation évolutive d’environ 500 espèces de poissons cichlidés, le lac Victoria représentait jusqu’à une époque récente un ‘vivier de Darwin’, et l’un des exemples les plus spectaculaires de l’évolution en marche. Cependant, ce lac a été transformé d’un laboratoire naturel d’étude de l’évolution en la plus grande pêcherie continentale d’Afrique. Bien que les pêcheries du lac restent pour l’instant productif, plusieurs perturbations anthropiques, comme la dégradation et la modification des habitats, la pollution, la surexploitation des stocks halieutiques, l’introduction d’espèces envahissantes, et le changement climatique, ont déstabilisé profondément les réseaux trophiques et donc les écosystèmes du lac et de l’écorégion. A part chez les poissons cichlidés, les interactions controversées entre l’environnement et la diversité dans l’écorégion n’ont pas généré d’études détaillées sur les populations d’autres organismes d’eau douce. Ce manque de connaissances implique que les effets des changements en cours sur les écosystèmes restent peu évalués, notamment quant à la composition des communautés et la démographie des organismes benthiques. L’efficacité des stratégies appliquées pour la préservation de la biodiversité est donc incertaine. Les changements menacent également les fonctions socio-économiques du lac, notamment la durabilité des pêcheries dont les communautés locales dépendent actuellement.
Dans ce contexte, des chercheurs du laboratoire Evolution, Ecologie et Paléontologie (Evo-Eco-Paléo – CNRS/Univ. Lille) et de l’Université Justus Liebig, Gießen en Allemagne se sont attelés à examiner la diversité génétique et la démographie historique au sein des populations de gastéropodes vivipares de l’écorégion du Lac Victoria (Fig. 1), élément important du réseau trophique.
Leurs résultats, publiés dans la revue Molecular Ecology mettent en évidence trois groupes de gastéropodes qui sont génétiquement séparés et géographiquement isolés. Chacun de ces trois groupes montre une diminution importante des populations qui a commencé il y a 125 000-150 000 ans, donc bien avant les changements anthropiques récents, et également avant les diminutions observées dans les cichlidés (il y a 15 000 ans). La récente détérioration des écosystèmes a ensuite mené à un effondrement majeur : on estime que les populations de ces gastéropodes ont des tailles 200 fois inférieures à celles d’il y a 125 000-150 000 ans. Cet effondrement diffère également des prédictions précédentes basées sur l’estimation des changements du réseau trophique (Fig. 2).
La détérioration des écosystèmes entraîne l’homogénéisation de micro-habitats auparavant diversifiés et contribue à la disparition, voir l’extinction, de certaines espèces, et à une augmentation du flux génique entre les espèces au sein des groupes. Comprendre les conséquences des transformations de l’écosystème d’eau douce est essentiel pour le maintien de la biodiversité et la gestion de la pêche dans cette écorégion.
Les objectifs de développement durable
- ODD 1 : pas de pauvreté
- ODD 2 : zéro faim
- ODD 3 : bonne santé et bien-être
- ODD 6 : eaux propres et assainissement
- ODD 8 : travail décent et croissance économique
- ODD 14 : vie aquatique
Cette publication apporte des données afin d’améliorer la gestion des ressources naturelles, notamment les écosystèmes littoraux d’eau douce tropicaux, et de rendre cette gestion plus durable afin de permettre la durabilité socio-économique de ces écosystèmes.
Références
Van Bocxlaer, B., C. Clewing, A. Duputié, C. Roux, C. Albrecht. 2020. Population collapse in viviparid gastropods of the Lake Victoria ecoregion started before the Last Glacial Maximum. Molecular Ecology. DOI: 10.1111/mec.15599.