"J'ai visité la grotte Chauvet !" : l'expérience patrimoniale lors d'une visite de réplique de grotte ornée
Depuis une décennie, les nouvelles technologies et les modèles 3D ont changé la manière de présenter les patrimoines archéologiques et historiques aux publics, et posent la question de « ce qui fait patrimoine ». A partir de la réplique de la grotte Chauvet-Pont d’Arc, une équipe franco-australienne, mobilisant plusieurs membres du Laboratoire Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne (EDYTEM - CNRS/Univ Savoie Mont Blanc), expose dans l’International Journal of Heritage Studies la place de l’expérience et du ressenti d’authenticité dans la construction d’un rapport patrimonial.
Depuis une décennie, les nouvelles technologies et les modèles 3D ont changé la manière de présenter les patrimoines archéologiques et historiques aux publics, et posent la question de « ce qui fait patrimoine ». Que se passe-t-il lorsque des enjeux de conservation, interdisant toute forme de valorisation in situ d’un site archéologique, couplés à des enjeux de valorisation, conduisent à l’élaboration d’une réplique présentée comme parfaite, laquelle devient le lieu où tout un chacun est en mesure de faire l’expérience de ce qui fait patrimoine ? Dans quelle mesure les caractéristiques de la réplique et le dispositif scénographique déployé conduisent les visiteurs à éprouver les valeurs en raison desquelles un objet, un lieu, fait patrimoine ? Est-ce que ce ressenti de patrimoine s’accompagne d’une extension de patrimonialité, la copie faisant à son tour patrimoine ?
Pour analyser les rapports dialogiques entre le vrai et le faux, et les enjeux patrimoniaux de l’hyperréalisme, l’étude s’appuie sur l’analyse du tandem « Grotte Chauvet-Pont d’Arc / Grotte Chauvet 2 – Ardèche », toutes deux situées dans le sud-Ardèche (France). Située à 2 km à vol d’oiseau de la grotte originale, la copie a ouvert en Avril 2015 et a depuis accueilli près de 2 millions de visiteurs, dont 350 000 en 2018. A la fois anamorphose (contraction des 8400 m² de la grotte originale dans une réplique de 3000 m²) et fac-similé (reproduction à l’identique des morceaux de parois choisis), la copie de la grotte Chauvet permet aux acteurs du territoire d’annoncer « une reconstitution parfaite de la Grotte Chauvet Pont-d’Arc ». Pour autant, dans quelle mesure Chauvet 2-Ardèche permet-elle aux visiteurs de faire l’expérience des valeurs en raison desquelles un lieu, un monument, un objet fait patrimoine, avec en premier lieu, l’expérience de l’authenticité ?
Cette étude est le fruit de plusieurs années de recherche sur le sud-Ardèche, mobilisant plusieurs membres du laboratoire Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne (EDYTEM - CNRS Univ Savoie Mont Blanc) sur des volets complémentaires : les géomorphologues sur la compréhension du paysage karstique des gorges de l’Ardèche et de la grotte Chauvet-Pont d’Arc (J.-J. Delannoy, Stéphane Jaillet, etc.) et les géographes versant géographie Humaine et Social (M. Duval, C. Gauchon, C. Malgat, etc.) sur l’analyse des dynamiques patrimoniales et territoriales en lien avec les projets de valorisation de la grotte Chauvet-Pont d’Arc - inscription au Patrimoine Mondial par l’UNESCO, réalisation d’un facsimilé. Depuis 2015, et dans le cadre du Labex ITEM (projet de recherche « Singulariser les Territoires de Montagne » (LABEX ITEM, ANR-10-LABX-50-01, portage Karine Basset et Véronique Peyrache-Gadeau), de nouvelles collaborations ont été tissées avec des chercheurs australiens de l’Université Western Australia (Perth), B. Smith et L. Mayer. Les résultats publiés dans cet article résultent de cette double synergie.
Sur la base d’observation de terrain et d’entretiens semi-directifs avec les guides et les visiteurs de la réplique (campagne de 2016 et 2017), les résultats démontrent la dimension performative de la réplique : plus de 90 % des visiteurs ont une expérience patrimoniale authentique, indépendamment du statut de réplique de la copie. Ces résultats attestent du caractère contingent de la notion d’authenticité : loin d’être essentialiste, l’authenticité est un ressenti qui résulte de jeux de négociations entre l’individu et l’objet, le monument ou paysage observé. L’enjeu pour les gestionnaires de lieux patrimoniaux, également confrontés à des enjeux de rentabilité, est de penser des dispositifs à même de faire éprouver aux visiteurs l’épaisseur du temps. Dans ce processus dynamique de création d’authenticité, pierre angulaire d’une expérience patrimoniale, notre analyse fait également ressortir la place centrale occupée par la matérialité dans l’expérience de l’authenticité : « C’est parce qu’on se déplace, parce que notre corps est engagé dans la réplique qu’on a l’impression de visiter la vraie. Faut marcher au milieu de quelque chose pour ressentir une atmosphère » déclare l’un des individus interrogés. L’étude conclue sur la nécessité de conduire des approches comparées avec à la fois d’autres grottes ornées ouvertes au public (Pech-Merle, Font-de-Gaume, Rouffignac) et d’autres répliques (Lascaux IV, Altamira, Ekainberri). Cette approche comparée permettait d’approfondir la place de l’émotion et de l’expérience dans l’attribution de valeurs patrimoniales, et d’observer dans quelle mesure les répliques sont (ou non) plus efficaces et significatives que ne le sont les originaux.
Référence
Duval M., Smith B., Gauchon C., Mayer L., Malgat C., “I have visited the Chauvet Cave”: the heritage experience of a rock art replica, International Journal of Heritage Studies.