Découverte d'un nouveau mécanisme d'apprentissage social chez l'abeille
Alors que les abeilles domestiques, comme d’autres insectes sociaux, dépendent de manière critique de la transmission sociale de l’information pour réussir leur recherche de nourriture et parvenir à un bon fonctionnement de leurs colonies, un nouveau mécanisme d’apprentissage social vient d’être découvert. En réalisant des analyses comportementales et des enregistrements des mouvements antennaires des abeilles, une équipe du laboratoire Evolution, Génomes, Comportement et Ecologie (EGCE – CNRS/ Université Paris Sud/ IRD) dirigée par JC Sandoz a montré qu’un simple contact social par les antennes agit comme un renforcement appétitif. Publiée dans la revue Current Biology, cette étude montre qu’une odeur qui n’a initialement aucun effet sur le comportement des abeilles se met à déclencher une réponse appétitive d’extension des pièces buccales lorsqu’elle est associée à ce contact social. Ce renforcement social est susceptible de faciliter l’exploitation des ressources par les abeilles, mais aussi d’autres groupes sociaux.
Les abeilles domestiques, comme d’autres insectes sociaux, dépendent de manière critique de la transmission sociale de l’information pour réussir leur recherche de nourriture et parvenir à un bon fonctionnement de leurs colonies. Ainsi, à leur retour à la ruche d’un vol de butinage, les abeilles communiquent à leurs congénères des informations sur la source de nourriture butinée. Ces informations portent sur son emplacement par la réalisation d’une danse frétillante (découverte par Karl von Frisch, Prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1973), tandis que sa nature est renseignée par l’odeur de la plante visitée qu’elles portent sur leurs corps et par le nectar distribué par un échange de nourriture appelé trophallaxie. Ainsi informées, d’autres abeilles vont alors quitter la ruche pour aller butiner cette plante, sans passer de temps à chercher d’autres ressources, optimisant ainsi fortement la récolte de nourriture de la colonie. Pendant longtemps, on a considéré que l’échange de nectar sucré par trophallaxie était nécessaire pour informer les abeilles de la ruche quant à l’odeur de la source, les abeilles apprenant une association odeur-renforcement alimentaire. Cependant, récemment des chercheurs ont observé que ce n’était pas forcément le cas, et qu’un simple contact corporel entre les butineuses pouvait être suffisant. Mais alors quelle est la nature précise du mécanisme impliqué ? La réponse à cette question vient d’être apportée par des analyses comportementales réalisées par le laboratoire Evolution, Génomes, Comportement et Ecologie (EGCE – CNRS/ Université Paris Sud/ IRD) couplées à des enregistrements des mouvements antennaires des abeilles.
L’expérimentation consistait à immobiliser une abeille (abeille testée) dans un dispositif de contention laissant ses antennes et ses pièces buccales libres. Pour analyser les effets d’un contact social, une abeille issue de la même colonie (abeille stimulante) était alors approchée de cette abeille et les interactions antennaires entre les deux congénères étaient enregistrées, ainsi que l’éventuelle extension de la langue (proboscis) de l’abeille testée. Cette réponse comportementale est appelée réponse d’extension du proboscis (REP, ou PER en anglais). Elle est généralement associée aux comportements d’alimentation et d’échange d’aliments. Afin d’analyser de façon automatique les mouvements antennaires des abeilles, les extrémités des antennes étaient marquées par un point de couleur. Le dispositif d’enregistrement, composé d'une caméra placée au-dessus de l’abeille et munie d’une carte de traitement intégrée, permettait de suivre l’évolution des coordonnées des points de couleur, et donc le déplacement des antennes avec une très bonne résolution temporelle (90 fois par seconde).
Les résultats obtenus ont permis de découvrir une forme d'apprentissage social auparavant inconnue chez les abeilles. Chez les individus testés, un simple contact antennaire avec une congénère provoque l’extension du proboscis (REP). « Cette REP rappelle la séquence comportementale impliquée dans la trophallaxie, permettant généralement à l'abeille réceptrice de goûter le nectar apporté par la butineuse à son retour à la ruche » précise Jean Christophe Sandoz (EGCE – CNRS/ Université Paris Sud/ IRD). Après avoir associé une odeur initialement neutre à ce stimulus social, les abeilles testées commencent à produire la REP à cette odeur, exactement comme lorsqu'elles associent une odeur à une récompense alimentaire (eau sucrée) dans des expériences de conditionnement appétitif au laboratoire. Cependant, une différence cruciale réside dans le fait que lors des expérimentations réalisées ici, les abeilles testées n’obtiennent pas de récompense «réelle» (alimentaire), mais seulement un renforcement social. Cet apprentissage social peut donc jouer un rôle important dans le transfert d’informations sur la qualité (odeur) des sources de nourriture dans la colonie et agir de concert avec des processus découverts antérieurement comme la communication de la localisation de la source de nourriture par la danse frétillante.
Ces résultats montrent que le transfert de nectar n’est pas nécessaire pour l’apprentissage olfactif et que même lorsque l’abeille butineuse de retour à la colonie a totalement déchargé le contenu de sa récolte, elle peut toujours informer les autres abeilles de l’odeur d’une source alimentaire, grâce au renforcement social qu’elle fournit par ses contacts antennaires.
Cette étude révèle un nouveau mécanisme d’apprentissage social susceptible de faciliter l’exploitation des ressources par les abeilles, mais aussi d’autres groupes sociaux.
Référence
Social Contact Acts as Appetitive Reinforcement and Supports Associative Learning in Honeybees. Cholé H, Carcaud J, Mazeau H, Famié S, Arnold G, Sandoz JC. Curr Biol. 2019 Apr 8.