L'histoire résolue des populations de deux papillons
Le papillon nacré de la bistorte, Boloria eunomia, habite les prés humides et les tourbières des régions montagneuses. Cette espèce vit à basse altitude dans le nord de l’hémisphère nord, en Europe, Sibérie, Alaska et Canada. Une étude phylogéographique internationale publiée dans PlosOne comportant un chercheur de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE – CNRS/Univ Avignon/IRD/Univ Aix-Marseille) a cartographié le chemin migratoire emprunté par les ancêtres de cette espèce. Ainsi l’étude a montré que la Scandinavie a été colonisée par deux vagues successives au départ de la Sibérie centrale, tandis que les montagnes du Sud de l’Europe ont été colonisées avant la dernière glaciation au départ de populations distinctes issues de Sibérie méridionale.
La distribution des espèces est changeante au cours du temps. C’est particulièrement le cas des espèces des régions froides, qu’il s’agisse des montagnes ou du nord de l’Eurasie et de l’Amérique. Ces dernières ont modifié leurs distributions au gré du rythme des épisodes glaciaires et des périodes plus chaudes. Une équipe internationale de laboratoires tchèques, allemands, polonais et français a rassemblé plus de 300 échantillons provenant de l’ensemble de l’aire de distribution de deux papillons, le nacré de la bistorte Boloria eunomia et le petit collier argenté Boloria selene, répartis entre le Canada, l’Alaska, l’ensemble de la Sibérie et l’ensemble de l’Europe. Le gène mitochondrial COI et le gène nucléaire Arginine Kinase ont été séquencés chez l’ensemble de ces échantillons. Une analyse des réseaux de ces deux gènes qui correspondent aux liens de parenté liant les populations, a permis de reconstituer l’histoire de leurs populations. Il s’est avéré que ces deux espèces sont initialement issues de Sibérie méridionale, d’où elles ont colonisé l’Amérique du Nord durant le Pléistocène, il y a près de 2.5 millions d’années pour B. selene et 1.6 million d’année pour B. eunomia.
La première espèce, B. selene, liée à des milieux tempérés, a par la suite colonisé le nord-est de l’Amérique du Nord où l’on reconnaît trois noyaux de populations. Avant de rejoindre l’Europe puis l’est de la Sibérie, en de larges vagues de colonisation successives depuis 500 000 ans, menant à une faible différenciation spatiale des populations. La seconde espèce, B. eunomia, par contre, présente, elle, une structure plus marquée de ses populations en Eurasie, du fait de sa spécialisation dans des habitats plus froids, et donc à plus haute altitude ou latitude. La première vague de colonisation, initiée il y a environ 800 000 ans mène à des populations trouvées actuellement à la fois au centre de la Scandinavie, et dans l’Extrême-Orient russe. Une deuxième vague de colonisation initiée, il y a environ 600 000 ans, a mené aux populations que l’on trouve actuellement dans les montagnes du sud et du centre de l’Europe, ainsi que dans le nord-est de la Sibérie. Les populations de Scandinavie, qui occupent actuellement des espaces qui étaient couverts de glaces il y a 22 000 ans, ne sont pas issues de populations existant à l’époque dans le sud de l’Europe, mais plutôt le fruit d’une colonisation issue de l’est de Europe et de la Sibérie méridionale, Tandis que les populations des Pyrénées, de l’est des Alpes, des Balkans et du Caucase ont subsisté en montant en altitude.
Gabriel Nève (IMBE - CNRS/Univ Avignon/IRD/Univ Aix-Marseille) conclut par une mise en garde vis-à-vis de la vulnérabilité de ces deux espèces. En effet certaines de ces populations sont fortement menacées par le réchauffement climatique en cours. Vivant en altitude, à la recherche d’un climat froid, une partie de ces populations sont contraintes de migrer en hauteur à la recherche de milieux plus rudes mais qui se trouvent vite limités par l’altitude des sommets.
Référence
Maresova J., Habel J.C., Neve G., Sielezniew M., Bartonova A., Kostro-Ambroziak A., Fric Z.F. 2019. Cross-continental phylogeography of two Holarctic Nymphalid butterflies, Boloria eunomia and Boloria selene. PLoS ONE 14(3)