Les télomères, outils moléculaires pour évaluer la qualité individuelle des albatros
Chez les vertébrés sauvages, il a souvent été observé que certains individus survivent et se reproduisent mieux que d'autres. C’est notamment le cas chez les albatros pour lesquels certains individus sont capables d’atteindre des âges très avancés, et de produire un nombre important de poussins au cours de leur vie. Ainsi, pour évaluer la qualité individuelle des albatros, une étude dirigée par le Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/Univ La Rochelle) propose d’utiliser les télomères comme outil moléculaire. Ce travail s’inspire des recherches précédentes effectuées sur l’Homme pour démontrer que la taille des télomères peut être un indicateur de la qualité individuelle chez les albatros. Les résultats ont été publiés dans la revue Functional Ecology.
En 2009, Elizabeth Blackburn, Carol Greider et Jack Szostak recevaient le prix Nobel de Physiologie pour leur découverte des télomères, des séquences répétées d’ADN non-codant qui protègent l’intégrité du chromosome lors des processus de réplication. Les télomères se raccourcissent naturellement lors de la vie des individus et il est maintenant démontré que des télomères courts sont associés à l’apparition de nombreuses maladies et à une mortalité précoce chez l’Homme.
« Dans cette étude, nous avons voulu mettre en évidence l’utilité des télomères dans l’identification de ‘supers albatros’ », précise Frédéric Angelier, chargé de recherche CNRS au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/Univ La Rochelle), qui a dirigé ces recherches. Pour atteindre cet objectif, l’équipe a mesuré conjointement la longueur des télomères et plusieurs indices comportementaux, morphologiques et physiologiques de la qualité individuelle chez 59 albatros qui élevaient leurs poussins - efficacité de recherche de nourriture, taille corporelle, et taux d'hormones de stress. Suite à cette campagne d’observation et de prélèvements, les chercheurs ont également suivi ces individus de 2004 à 2013 afin de mesurer leur survie, leur fréquence de reproduction, leur succès reproducteur annuel, et de manière plus générale le nombre total de poussins élevés lors de cette décennie. Cette étude a été menée dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, sur l’archipel des Kerguelen.
En ce qui concerne la longueur des télomères, une variabilité inter-individuelle a été observée. Indépendamment de leur âge, certains individus pouvaient présenter des télomères 25 % plus longs que ceux d’autres individus. Par ailleurs, les albatros possédant de longs télomères étaient identifiables par des caractéristiques particulières : ils étaient grands, se nourrissaient efficacement, et étaient peu stressés. Enfin, ces derniers sont également ceux qui ont produit le plus de poussins au cours de la décennie qui a suivi les mesures.
Ces résultats démontrent que les télomères peuvent être un indicateur de la qualité individuelle chez cette espèce, et plus précisément, que ces « super albatros » sont caractérisés par des télomères longs. Puisque la qualité individuelle peut avoir un impact considérable sur les processus démographiques populationnels, l’identification de ce marqueur moléculaire de la qualité ouvre des perspectives nouvelles pour étudier les conséquences des conditions environnementales sur les populations de vertébrés sauvages.
Référence
Frédéric Angelier, Henri Weimerskirch, Christophe Barbraud, Olivier Chastel (2019) Is telomere lengh a molecular marker of individual quality? Insights from a long-lived bird, Functional Ecology