Vivre à la surface des plantes est risqué durant les vagues de chaleur
Les petits arthropodes vivent dans des microclimats bien particuliers. A terme le changement climatique pourrait avoir des conséquences sur ces microclimats et y bouleverser la vie des insectes. Une étude réalisée par deux chercheurs de l'Institut de Recherche sur la Biologie de l'Insecte à Tours et publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), montre que le microclimat foliaire augmente la vulnérabilité des arthropodes à la surface des plantes. Cette vulnérabilité doit être évaluée en intégrant les limites thermiques des organismes et la température du microclimat qu'ils utilisent et modifient par leurs activités nutritionnelles.
Le changement climatique fragilise les écosystèmes et érode la biodiversité. Les évènements extrêmes tels que les vagues de chaleur, qui augmentent en intensité et en fréquence, sont particulièrement néfastes car les animaux n'ont pas le temps de s'adapter à ces températures extrêmes qui surviennent de façon inopinée. L'anticipation et la gestion des effets négatifs du changement climatique nécessitent une analyse de la vulnérabilité des organismes à ces températures extrêmes. Cette vulnérabilité s'évalue classiquement sur la base des seuils de tolérance à la température des organismes, tout en supposant que l'environnement de ces organismes correspond à la température de l'air atmosphérique. Or, les animaux, et surtout ceux de petite taille comme les insectes et autres arthropodes, vivent dans des habitats dont le microclimat peut se distinguer fortement des conditions atmosphériques. Il est donc important d'évaluer la vulnérabilité des arthropodes herbivores face aux vagues de chaleur en intégrant leur seuil de tolérance à la température et la température microclimatique réellement subie à la surface des plantes.
Sylvain Pincebourde et Jérôme Casas de l'Institut de Recherche sur la Biologie de l'Insecte (IRBI, Université de Tours / CNRS) ont étudié une communauté de ravageurs vivant à la surface du feuillage du pommier. Les seuils de tolérance à la température ont tout d'abord été mesurés chez les six espèces (acariens, pucerons, mineuse, punaise tigre), montrant des différences importantes, avec un écart de 8°C entre les espèces les plus tolérantes aux hautes températures (acariens) et les moins tolérantes (pucerons). Un tel écart entre des espèces vivants dans le même microhabitat, bien qu’observé dans d’autres communautés, est surprenant et non expliqué. On s’attendrait en effet à ce que les organismes vivants dans le même habitat aient la même tolérance. L'étude parue dans PNAS montre que la température d'une feuille peut diverger de la température de l'air en fonction des niveaux de radiation solaire qu'elle reçoit mais aussi de son taux de transpiration. En mesurant les taux de transpiration et photosynthèse de la feuille attaquée par chaque ravageur, les auteurs ont révélé une relation entre la température de la feuille attaquée et son taux de transpiration résultant de l'attaque du ravageur. La température du microclimat foliaire varie donc en fonction de l'identité du ravageur qui attaque la feuille. Ainsi, les acariens induisent une baisse du taux de transpiration de la feuille, ce qui contribue à augmenter la température de la feuille, tandis que les pucerons provoquent une hausse du taux de transpiration de la feuille, aboutissant à un refroidissement de la surface de la feuille. Des mesures effectuées sur le terrain et en laboratoire, appuyées par un travail de modélisation biophysique, montrent que la température des feuilles attaquées par les acariens est jusque 8°C plus élevée que celle des feuilles sur lesquelles se nourrit le puceron vert. Cette relation entre la réponse de la feuille à l'attaque du ravageur, la température de la feuille et le seuil de tolérance de l'arthropode explique le patron d'adaptation à la température dans cette communauté.
Une approche de modélisation biophysique a permis de prédire la température des feuilles attaquées par chaque ravageur durant des conditions de vague de chaleur, afin d’évaluer la vulnérabilité de ces espèces. Lorsque la température réellement vécue par les arthropodes à la surface des feuilles est prise en compte, la tolérance au réchauffement est faible (<2°C au mieux) pour l'ensemble des espèces, car les espèces les plus tolérantes aux températures élevées sont aussi celles vivants dans des microclimats plus chauds. La tolérance au réchauffement a également été évaluée lorsque l'effet du ravageur sur la transpiration de la feuille n'est pas pris en compte, ou bien lorsque la température de l'air est considérée. Les résultats montrent que la tolérance au réchauffement est surestimée jusque 12°C sur la base de la température de l'air.
Cette étude montre que les arthropodes vivent déjà près de leur seuil de tolérance au réchauffement. Ces conditions microclimatiques exposent dangereusement les arthropodes durant les vagues de chaleur. Ce phénomène peut apporter des éléments d'explication à la chute dramatique des populations d'insectes observée à travers le monde.
Référence
Sylvain Pincebourde and Jérôme Casas (2019). "Narrow safety margin in the phyllosphere during thermal extremes". Proceedings of the National Academy of Sciences USA