Société modulaire et forte tolérance chez le gorille des plaines de l’Ouest

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Le gorille des plaines de l’Ouest, espèce qui a la plus large distribution au sein du genre gorilla, est pourtant en danger critique notamment en raison de sa forte susceptibilité aux maladies émergentes. La compréhension des processus microévolutifs à l’œuvre chez cette espèce longévive est un des enjeux majeurs pour sa préservation. Cette problèmatique est au cœur des travaux d’un groupe de chercheurs du laboratoire ECOBIO (Université Rennes 1 / CNRS) qui étudie depuis 2001 la dynamique de plusieurs populations sauvages qui fréquentent des clairières incluses en forêt équatoriale. Dans le cadre d’une collaboration franco-espagnole menée par la faculté de Barcelone, le CSIC (Doñana) et ces chercheurs d’ECOBIO, des aspects méconnus de la dynamique sociale du gorille des plaines viennent d’être révélés dans la revue Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences.

Suivi par caméra trap des gorilles en forêt de Ngaga, Congo (© Germán Illera)
Suivi par caméra trap des gorilles en forêt de Ngaga, Congo (© Germán Illera)

Depuis les premières études en milieu naturel, il est clair que des différences remarquables existent entre le comportement du gorille des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) habitant les forêts denses du bassin du Congo et celui du gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei) vivant sur les pentes volcaniques du Rift. Les rencontres entre groupes familiaux de gorilles des plaines de l’Ouest sont fréquentes et amicales, en contraste frappant avec les rares et agressives interactions entre groupes de gorilles des montagnes. Ces rencontres entre gorilles des plaines de l’Ouest avaient été observées principalement sur des clairières lorsque plusieurs groupes venaient manger d’abondantes plantes riches en sel minéraux. Par contre, ces comportements sociaux au sein des forêts équatoriales impénétrables, où la visibilité est limitée, sont longtemps restés un secret bien gardé.

Une étude internationale publiée dans Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences et impliquant des chercheurs du laboratoire ECOBIO de l’Université de Rennes 1 et du CNRS, apporte un éclairage sur le comportement social des gorilles des plaines de l’Ouest dans la forêt de Ngaga en République du Congo. Le suivi en continu pendant 5 ans de trois groupes habitués à la présence humaine montre que, même au cœur de la forêt dense, les rencontres entre groupes de gorilles sont fréquentes et amicales. Les membres de différents groupes mangent et jouent ensemble au lieu d’être agressifs. Des analyses génétiques ont permis d’avoir une image précise de la structure sociale et des apparentements entre plus de 120 gorilles de Ngaga. Ces analyses ont été réalisées sur la Plateforme d’Ecologie Moléculaire d’ECOBIO (plateau dédié pour l’ADN d’échantillons non invasifs) à partir de fèces collectées durant quatre mois à Ngaga. Les résultats génétiques confirment les échanges fréquents entre groupes. Les jeunes sont souvent retrouvés temporairement hors de leur famille dans des groupes sans gorille apparenté, un comportement qui peut s’expliquer par l’absence d’infanticide chez cette espèce. Ces résultats mettent en lumière une société modulaire, caractérisée par quelques liens forts mais aussi des liens plus lâches et une tolérance inter-groupes élevée, ce qui facilite les échanges d’individus entre groupes.

Ce comportement social peut avoir joué un rôle important dans l’histoire évolutive de l’espèce, favorisant le partage d’informations et facilitant l’exploitation des ressources. Le revers est néanmoins qu’il peut exacerber l’impact de maladies infectieuses. Par exemple, les épidémies d’Ebola ont tué par le passé plus de 95% des gorilles dans certaines zones et les contacts entre groupes peuvent avoir facilité la diffusion du virus. La forte susceptibilité de l’espèce à cette menace a contribué à son classement « en danger critique » sur la liste rouge de l’UICN.

Globalement, les résultats de cette étude montrent l’importance de coupler des approches d’observations directes et d’analyses génétiques pour le suivi de la faune sauvage. Cette étude souligne aussi le potentiel des analyses génétiques non invasives pour comprendre les dynamiques sociales chez une espèce discrète. Il est crucial de comprendre le comportement social pour modéliser les transmissions de maladie et pour planifier des stratégies de conservation efficaces sur le long terme.

 

Rencontre de jeunes gorilles de différents groupes en forêt de Ngaga, Congo (© Germán Illera)
Rencontre de jeunes gorilles de différents groupes en forêt de Ngaga, Congo (© Germán Illera)
Extraction d'ADN de gorilles sur la plateforme d'écologie moléculaire d'ECOBIO, avec Dominique Vallet à la station biologique de Paimpont (© Pascaline Le Gouar)
Extraction d'ADN de gorilles sur la plateforme d'écologie moléculaire d'ECOBIO, avec Dominique Vallet à la station biologique de Paimpont (© Pascaline Le Gouar)

 

Référence
G. Forcina, D. Vallet, P.J. Le Gouar, R.Bernardo-Madrid, G. Illera, G. Molina-Vacas, S. Dréano, E. Revilla, J.D. Rodríguez-Teijero, N. Ménard, M. Bermejo, C. Vilà.

From groups to communities in western lowland gorillas. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences

Contact

Dominique Vallet
Laboratoire ECOBIO (Université Rennes 1 / CNRS)
Pascaline Le Gouar
Laboratoire ECOBIO (Université Rennes 1 / CNRS)
Nelly Ménard
Laboratoire ECOBIO (Université Rennes 1 / CNRS)
Alain-Hervé Le Gall
Contact communication