Biodiversité : la dispersion des espèces suit-elle toujours les mêmes règles ?
La dispersion, mouvement des individus entre habitats, est un processus clé en écologie et en évolution. Source de flux d’individus et de gènes entre populations, ce mouvement façonne l’évolution des espèces et le fonctionnement des communautés. Étonnamment la dispersion est souvent implémentée de façon simpliste dans les modèles prédictifs des changements globaux, en dépit des nombreuses démonstrations de sa complexité. Un réseau international de chercheurs, incluant trois laboratoires français, le laboratoire Évolution et Diversité Biologique de Toulouse (EDB - CNRS / Univ. Toulouse III Paul Sabatier / IRD), la Station d'Écologie Théorique et Expérimentale de Moulis (SETE - CNRS / Univ. Toulouse III Paul Sabatier) et l’Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / Université de Montpellier / IRD / EPHE) a donc développé une expérience collaborative sur 21 espèces dans le but de démontrer que la dispersion n’est pas aléatoire, mais qu’elle répond à des règles généralisables entre espèces. Cette nouvelle étude parue dans la revue Nature Ecology & Evolution démontre sur un large panel d’espèces, allant des microorganismes aux vertébrés, que la dispersion répond aux forces créées par les autres espèces présentes dans le réseau écologique.

Chez de nombreuses espèces, les individus peuvent se déplacer au cours de leur vie afin de s’installer dans des habitats de bonne qualité. Ce processus, nommé dispersion, module le fonctionnement des populations et des communautés au niveau local et régional. Dans le contexte des changements globaux, elle permet aux espèces de répondre aux modifications continuelles des conditions abiotiques et biotiques des habitats. Cependant, la dispersion est souvent simplifiée à l’excès dans les modèles prédictifs, ce qui contraste avec la recommandation grandissante d’implémenter la complexité de la dispersion afin d’améliorer nos prédictions du devenir de la biodiversité. Pour cela, nous avons besoin de déterminer quelles sont les règles communes de fonctionnement de la dispersion à l’échelle du vivant.
Afin d’identifier les facteurs écologiques qui déterminent les mouvements de dispersion, un réseau de 7 laboratoires européens a conduit une expérience coordonnée sur 21 espèces allant des microorganismes aux vertébrés. En appliquant un protocole identique chez ces espèces, ce réseau scientifique a pu comparer la dépendance de la dispersion des différentes espèces à la présence de prédateurs et à la faible abondance de nourriture dans leur habitat. Ces deux caractéristiques de l’habitat augmentent généralement les taux de dispersion de façon consistante entre espèces pour les ressources, mais de façon plus variable pour la présence de prédateur. Cette expérience coordonnée confirme donc que la dispersion est une stratégie d’évitement d’environnements de mauvaises qualités qui est conditionnée par les autres espèces d’un réseau écologique.
Dans un second temps, les chercheurs ont modélisé les conséquences de cette dispersion non-aléatoire sur les dynamiques des populations et des communautés à l’échelle locale et régionale. La dépendance de la dispersion aux prédateurs et aux ressources réduit les fluctuations spatio-temporelles et augmente la stabilité des écosystèmes. De plus, la conditionnalité de la dispersion d’une espèce influence aussi la dynamique des populations de ses proies et ses prédateurs, et donc affecte l’ensemble du réseau écologique. Ce travail appelle donc à considérer la complexité de la dispersion dans l’étude des dynamiques écologiques et évolutives et du fonctionnement des systèmes naturels. Plus généralement, cette étude promeut les approches scientifiques collaboratives et coordonnées qui permettent de collecter un grand nombre de données précises et généralisables sur les mécanismes écologiques et évolutifs, données nécessaires pour prédire l’avenir de la biodiversité.
Référence
Bottom-up and top-down control of dispersal across major organismal groups. Emanuel Fronhofer, Delphine Legrand, Florian Altermatt, Armelle Anstart, Simon Blanchet, Dries Bonte, Alexis Chaine, Maxime Dahirel, Frederik De Laender, Jonathan de Raedt, Lucie Di Gesu, Staffan Jacob, Oliver Kaltz, Estelle Laurent, Chelsea Little, Luc Madec, Florent Manzi, Stefano Masier, Felix Pellerin, Frank Pennekamp, Nicolas Schtickzelle, Lieven Therry, Alexandre Vong, Lauranne Winandy, and Julien Cote, Nature Ecology and Evolution, le 5 novembre 2018. DOI : 10.1038/s41559-018-0686-0
Contacts chercheurs
Emanuel FRONHOFER
Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / Université de Montpellier / IRD / EPHE)
emanuel.fronhofer@umontpellier.fr
Julien COTE
Évolution et Diversité Biologique (EDB - CNRS / Univ. Toulouse III Paul Sabatier / IRD)
julien.cote@univ-tlse3.fr