Sur les traces néandertaliennes du papillomavirus humain
Parmi les papillomavirus humains, il en existe un particulièrement virulent, capable d’engendrer des cancers du col de l’utérus. Il s’agit du virus HPV16. Afin d’essayer de comprendre pourquoi cette souche virale est plus agressive que les autres, une équipe franco-espagnole a reconstitué son histoire phylogénétique avec une précision inégalée. D’après leur étude, publiée dans la revue Molecular Biology and Evolution, un variant du virus HPV16 aurait évolué chez l’Homme de Neandertal pendant environ 500 000 ans avant d’être transmis par relation sexuelle à l’Homme moderne sur le continent eurasiatique. Un détour inattendu qui pourrait aider à expliquer la virulence de HPV16 et la susceptibilité accrue de certaines personnes face au virus.

Les papillomavirus humain – Human papillomavirus « HPV » en anglais – colonisent notre peau dès notre plus tendre enfance. Et si la plupart de ces petits virus sont bénins pour l’Homme, certaines souches sexuellement transmissibles, plus virulentes que les autres, peuvent induire des cancers. C’est le cas de la souche HPV16 qui est responsable de 80 % des cancers du col de l’utérus et de 20 % des cancers oro-pharyngés chez l’homme. « Plusieurs papillomavirus peuvent provoquer des cancers, mais HPV16 – et plus encore le variant HPV16-A – est de loin le plus oncogénique. Et on ne comprend pas pourquoi », résume Ignacio Bravo, directeur de recherches au Laboratoire Maladies Infectieuses et Vecteurs : Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle (MIVEGEC – CNRS/IRD/UM). Mais pourquoi cette souche possède un tel pouvoir oncogène ? Et pourquoi certaines femmes sont plus vulnérables que les autres à ses attaques ? Pour répondre à ces questions, une équipe de recherche franco-espagnole s’est intéressée à ses origines.
Jusqu’à présent, il était communément admis que le virus HPV16 était apparu chez l’Homme Moderne et qu’il avait quitté le continent Africain avec lui. Or, les travaux menés par Ignacio Bravo et ses collègues offrent une tout autre version de l’histoire. En effet, en comparant plus de 150 génomes et 1 500 isolats1 de virus HPV16, et plus de 1 000 génomes humains2 intégrant des gènes néandertaliens3, les chercheurs ont pu retracer l’histoire évolutive du virus et apporter un nouvel éclairage sur ses pérégrinations. « D’après nos résultats, une forme ancestrale du virus HPV16 aurait infecté l’ancêtre commun de tous les Hommes. Certains de ces virus seraient sortis d’Afrique avec l’Homme de Neandertal et auraient cohabité avec lui pendant environ 500 000 ans tout en évoluant vers le variant HPV16-A, explique Ignacio Bravo. Les populations d’Hommes Modernes, sorties à leur tour d’Afrique il y a environ 100 000 ans, auraient alors contracté cette forme évoluée du virus en ayant des relations sexuelles avec l’Homme de Neandertal. ».
Tandis que certains virus HPV16 auraient accompagnés l’Homme Moderne tout au long de son histoire, le variant HPV16-A, lui, aurait fait un détour chez l’Homme de Neandertal. « Un détour évolutif qui pourrait peut-être expliquer l’oncogénicité augmenté du virus HPV16 », souligne Ignacio Bravo. En effet, en se reproduisant avec l’Homme de Neandertal, l’Homme moderne a également intégré dans son génome des gènes néandertaliens impliqués dans la différenciation de la peau et la réponse immunitaire. « Il est très probable que ces gènes augmentent la probabilité pour l’Homme Moderne de développer une infection chronique face au virus HPV16-A, avance le chercheur. On se demande si le degré d’intégration de ces gènes néandertaliens au sein du génome ne pourrait pas expliquer pourquoi 1% femmes sont incapables d’éliminer le virus et développent un cancer », conclut Ignacio Bravo.
Pour compléter l’histoire de ce virus qui est, comme celle de tous les parasites, intimement liée à celle des hommes, les chercheurs espèrent pouvoir retrouver des virus ancestraux dans la peau de momies péruviennes notamment.
Notes
1. Culture de souches pures du virus.
2. Issus de la banque de données du Human Genome Diversity Project.
3. Les populations caucasiennes et asiatiques possèdent entre 1 et 5 % de gènes néandertaliens dans leur génome.
Référence
Transmission Between Archaic and Modern Human Ancestors During the Evolution of the Oncogenic Human Papillomavirus 16, par Ville N. Pimenoff, Cristina Mendes de Oliveira and Ignacio G. Bravo, publié dans Mol Biol Evol le 07 octobre 2016
DOI: 1093/molbev/msw214
Contact chercheur
Ignacio G. Bravo
Maladies Infectieuses et Vecteurs : Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle (MIVEGEC – CNRS/IRD/Univ. Montpellier)
ignacio.bravo@ird.fr