Les mammifères vivent en majorité plus longtemps en captivité
Il est couramment admis que les animaux vivent plus longtemps en captivité qu'à l'état sauvage. Famine, conditions climatiques extrêmes, prédation et compétition intra- et interspécifiques… les risques de mortalité prématurée dans la nature sont élevés. Pour autant, les rares études menées jusqu'à présent ne permettaient qu'une vision parcellaire, car elles se concentraient sur une espèce en particulier. Les récents travaux d’une équipe européenne composée de plusieurs chercheurs CNRS du Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE – CNRS/Univ. Claude Bernard/Vetagro Sup), publiés dans la revue Scientific Reports, sont les premiers réalisés à large échelle. Portant sur 59 espèces de mammifères répartis en 8 ordres (Artiodactyles, Périssodactyles, Carnivores, Primates, Lagomorphes, Rongeurs, Diprotodontes et Scandentiens), ils viennent confirmer que l'espérance de vie est supérieure en zoo pour 84 % des espèces de mammifères étudiées.
La connaissance de la longévité des espèces dans leur milieu naturel reste très aléatoire mais grâce aux suivis à long terme de populations naturelles, il est maintenant possible de comparer des paramètres démographiques entre populations captives et sauvages.
Dans des études préliminaires et à partir de l'analyse d'une vingtaine d'espèces, la même équipe européenne avait déjà montré que les grands herbivoresvivaient plus longtemps en zoo, exception faite de ceux dont le régime alimentaire est complexe, comme le Chevreuil.
Dans cette nouvelle étude, les chercheursont choisi d’élargir le nombre et la diversité des espèces de mammifères à comparer. En s’appuyant sur la base de données Species 360 (ex-Isis) qui recueille depuis 1973, de nombreuses informations sur les animaux en captivité, les chercheurs ont pu comparer les paramètres démographiques des populations captives et sauvages d'une soixantaine d'espèces. « Nous avons décidé de prendre en compte quatre paramètres: le taux de mortalité avant les premiers signes de vieillissement, l'apparition du vieillissement, la vitesse de ce dernier et la longévité moyenne » explique Jean-François Lemaître, chercheur au LBBE et coauteur de l’article.
Les résultats sont éloquents : pour chacun des paramètres, la captivité est avantageuse, sans qu'une différence notable n'existe entre les mâles et les femelles. Ils sont particulièrement probants pour les petits mammifères, dont le cycle de vie est naturellement plus court que les grands mammifères en raison d'une prédation et d'une compétition intraspécifique plus marquées. Chez les espèces dites « longévives », dont la mortalité adulte est faible en conditions naturelles, les bénéfices sont moindres. Il existe même des cas où l'espérance de vie est identique voire inférieure en captivité, comme chez les éléphants d'Asie et d'Afrique, ou les Primates. « Un âge de reproduction plus précoce en zoo pourrait expliquer un gain d'espérance de vie moindre, voire nul, pour les espèces longévives. Mais ce n'est qu'une hypothèse », suggère Jean-François Lemaître.
Autre point important, dans la nature, le fait d'être un prédateur ne garantit pas une vie « tranquille ». En effet, Sur les 15 espèces de carnivores sélectionnées, toutes ont une longévité plus longue en zoo qu’en milieu naturel. Le Renard, par exemple, peut miser sur une longévité moyenne de 12 ans en zoo, contre 3 ans dans la nature... Le Lion, 19 ans contre 13 ans.
Sur la méthodologie employée, Jean-François Lemaître tient à apporter une précision fondamentale : « Tous les individus que nous avons étudiés sont aujourd’hui morts. C'est pourquoi nos résultats sont uniquement le reflet de pratiques de conservation en zoo ayant eu trait par le passé. Or, depuis une dizaine d'années environ, le monde des zoos a considérablement évolué. Ce sont de véritables partenaires scientifiques, affirme le chercheur, qui ont à cœur par exemple d'assurer une mission conservatoire pour des espèces menacées, et de veiller au bien-être de leurs pensionnaires. Les conditions de vie de ces derniers sont bien meilleures que dans les années 1970 et 1980 ». On est ainsi en droit de penser que de possibles bénéfices liés à ces changements de pratiques sont à attendre, en particulier pour les espèces longévives qui sont encore en vie aujourd’hui dans les zoos, et dont bon nombre de représentants sont menacés sur la planète.
De plus, ces résultats seuls n'ont pas vocation à juger de la pertinence éthique des actions menées par les zoos sur les espèces dont ils ont la responsabilité. La qualité des soins, des méthodes de conservation et du bien-être d’une espèce se mesure à l'aune de nombreux indicateurs, comme la reproduction, la physiologie (apparition de maladies), le comportement des individus... Par exemple, les Carnivores voient certes leur espérance de vie croître, mais montrent aussi plus de problèmes comme les comportements dits « stéréotypés », au premier rang desquels l'ennui. Maintenir des interactions sociales développées est donc fondamental.
Le chercheur s'imagine étendre maintenant le champ d’investigations aux mammifères aquatiques : « Ce serait très intéressant, car ils ont un cycle de vie particulièrement lent et les données ne manquent pas, que ce soit en captivité ou dans la nature ».
Référence
Comparative analyses of longevity and senescence reveal variable survival benefits of living in zoos across mammals, par Morgane Tidière, Jean-Michel Gaillard, Vérane Berger, Dennis W. H. Müller, Laurie Bingaman Lackey, Olivier Gimenez, Marcus Clauss & Jean-François Lemaître, publié dans Scientifi Reportsle 07 novembre 2016.
DOI: 10.1038/srep36361
Contact chercheur
Jean-François Lemaître
Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE– CNRS/Univ. Claude Bernard/Vetagro Sup)
jean-francois.lemaitre@univ-lyon1.fr