L’ADN ancien au secours d’espèces en voie de disparition : retracer leur évolution pour mieux les conserver
La paléogénétique peut reconstituer la diversité génétique passée des espèces en voie de disparition. Dans un article publié récemment par PLOS ONE, des chercheurs du CNRS, en collaboration avec de nombreux archéozoologues de multiples pays, ont reconstruit la distribution passée des ânes sauvages asiatiques depuis la fin du Pléistocène, de la France à la Mongolie, liant ainsi les populations disparues et les populations modernes fragmentées et menacées. En permettant la reconstruction de la répartition géographique et temporelle des espèces et en affinant la taxonomie, la paléogénétique écologique peut ainsi procurer des clés essentielles pour choisir les mesures à prendre pour protéger les espèces en voie d’extinction et ainsi guider les stratégies de conservation.
Les activités humaines, comme l’urbanisation et la construction de routes et des rails, mais aussi le changement climatique, menacent d’extinction de nombreuses espèces animales. Pour préserver au mieux les populations résiduelles, il est utile de connaître les liens qui les unissaient dans le passé quand l’espèce était plus florissante. Ceci est possible avec l’étude de l’ADN préservé dans les fossiles qui témoignent de l’état de l’espèce dans le passé. En effet, lorsque les populations sont fragmentées, les flux génétiques sont réduits entre elles, et les variations phénotypiques locales peuvent être interprétées en termes de caractères spécifiques amenant à associer chaque population à une espèce différente. Ainsi, il peut être tentant de prévenir tout nouveau flux génétique entre ces populations pour préserver leur identité, mais on court alors le risque d’accélérer la réduction de leur diversité génétique. L’analyse génétique des populations passées peut mettre en évidence les relations phylogénétiques et échanges génétiques qui existaient entre ces populations, et ainsi affiner les diagnostics pour définir les stratégies de conservation les plus adéquates.
En analysant les populations d’âne sauvage asiatique, Equus hemionus, depuis 100 000 ans sur un territoire allant de la France à la Mongolie, en passant par l’Asie du Sud-Ouest, l’équipe « Epigénome et Paléogenome » de l’Institut Jacques Monod (CNRS – Université Paris Diderot) a mis en évidence que l’espèce était distribuée sur un très vaste territoire et que toutes les populations étaient proches phylogénétiquement les unes des autres, tout en ayant une structuration géographique importante. Les hémiones étaient présents en Europe, Anatolie et Syrie jusqu’au milieu de l’Holocène avant de disparaître. Même dans la région où leur diversité était la plus grande dans le passé, le territoire de l’ancienne Perse, on ne trouve aujourd’hui que quelques petites populations résiduelles menacées d’extinction.
La présence de ces ânes sauvages sur le territoire français à la fin du Pléistocène supérieur permet de réinterpréter certaines représentations préhistoriques d’équidés dans les grottes ornées, comme à Lascaux. L’analyse de l’ADN ancien dans des ossements d’une espèce d’âne sauvage européen, appelée par les paléontologues « hydrontin », a montré qu’il s’agit en effet de la population européenne d’hémiones, justifiant ainsi pleinement l’attribution à l’hémione d’une peinture de la grotte de Lascaux, proposée par les préhistoriens. Cette attribution était mise en doute jusque-là car elle n’était pas corroborée par les données paléontologiques. La génétique indique aussi que la classification taxonomique de spécimens anciens basée sur des critères morphologiques peut induire des erreurs d’attribution d’espèces en donnant trop de poids à des variations morphologiques qui seraient en fait incluses dans la variation intra-spécifique.
Cette étude paléogénétique a aussi montré que les populations de Mongolie et du Tibet, où se trouvent les populations restantes les plus importantes, se sont croisées relativement récemment bien qu’elles soient actuellement classifiées dans deux espèces différentes (E. hemionus et E. kiang). Ainsi, cette étude transversale donne des clefs pour mieux gérer la diversité génétique au sein des petites populations restantes qui jouent un rôle écologique important dans des environnements en cours de désertification.
En permettant la reconstruction de la répartition géographique et temporelle des espèces et en affinant la taxonomie, la paléogénétique écologique peut procurer des clés essentielles pour choisir les mesures à prendre pour protéger les espèces en voie d’extinction. Cette approche représente un certain investissement mais elle est un complément utile aux programmes de conservation des espèces et elle est de plusieurs ordres de grandeur moins coûteuse que la « résurrection » des espèces proposée par les projets de « dé-extinction ».
Référence
Taming the Late Quaternary phylogeography of the Eurasiatic wild ass through ancient and modern DNA. PlOS ONE 2017. Bennett EA, Champlot S, Peters J, Arbuckle BA, Guimaraes S, Pruvost M, Bar-David S, Davis SJM, Gautier M, Kaczensky P, Kuehn R, Mashkour M, Morales-Muñiz M, Pucher E, Tournepiche J-F, Uerpmann H-P, Bălăşescu A, Germonpré M, Y. Gündem C, Hemami M-R, Moullé P-E, Öztan A, Uerpmann M, Walzer C., Grange T & Geigl E-M.
Contact chercheur
Eva-Maria Geigl
Institut Jacques Monod (CNRS/ Univ Paris Diderot)
eva-maria.geigl@ijm.fr