La théorie dominante sur l'évolution des chromosomes sexuels remise en cause
L’évolution des chromosomes sexuels n’aurait-elle aucun lien avec les différences entre mâles et femelles ? C'est ce que suggère les résultats d'une étude menée par une équipe du Laboratoire Ecologie systématique évolution (ESE, CNRS / Université Paris Sud / AgroParisTech) d'Orsay. En se focalisant sur les chromosomes impliqués dans le déterminisme de type sexuel chez différents champignons du genre Microbotryum, les chercheurs ont constaté que ceux-ci avaient subi des vagues successives de suppressions de recombinaisons au fil de l'évolution. Or chez ces champignons, les chromosomes assurant le déterminisme de type sexuel ne sont en aucun cas impliqués dans la différenciation entre mâles et femelles. Ces résultats publiés dans PNAS en juin dernier sous-tendent donc que d'autres mécanismes seraient impliqués dans la différenciation des chromosomes sexuels.
Chez nombre d'animaux et de plantes, les chromosomes du déterminisme du sexe présentent des différences marquées tant sur le plan structural que génétique. Cela est lié au fait que ces chromosomes ont perdu la capacité de recombiner sur une partie de leur longueur. C'est notamment le cas chez l'espèce humaine entre le chromosome X et le chromosome Y dont la taille se trouve considérablement réduite. On sait par ailleurs que la recombinaison entre les chromosomes X et Y a été stoppée en plusieurs étapes. L’hypothèse dominante postule que ces suppressions successives de recombinaisons résulteraient de l'intégration au sein de ces chromosomes de gènes associés aux caractères sexuels secondaires propres à chacun des deux sexes comme la taille de la crinière chez les lions ou la coloration vive du plumage chez les mâles de certains oiseaux. La preuve que de tels gènes sont portés par les chromosomes sexuels n'a toutefois jamais pu être apportée.
Une équipe du Laboratoire Ecologie systématique évolution d'Orsay a voulu vérifier si des mécanismes désolidarisés de la détermination des caractères sexuels secondaires étaient à l'origine de l'évolution des chromosomes de type sexuel. Pour cela, les scientifiques ont utilisé comme modèle d'étude cinq espèces de champignons du genre Microbotryum, qui ont la particularité d'être dépourvus de sexes mâle et femelle.A l'aide de nouvelles techniques de séquençage permettant des assemblages de génomes complets, les chercheurs ont alors pu établir la cartographie génomique détaillée des chromosomes responsables de la compatibilité sexuelle chez ces champignons. « Nos analyses ont révélé l’existence d'une succession de suppressions de recombinaisons entre ces paires de chromosomes en dépit du fait que ces organismes ne présentent aucune différenciation phénotypique entre mâles et femelles », explique Sara Branco, post-doctorante au Laboratoire Ecologie systématique évolution et première auteure de l'étude.
Ces résultats inattendus suggèrent que d’autres processus pourraient être responsables de l’évolution des chromosomes sexuels en strates successives de différenciation. Les chercheurs ont ainsi émis l'hypothèse que des inversions ou des réarrangements de séquences nucléotidiques auraient pu affecter de façon aléatoire l'un des deux chromosomes de type sexuel au cours de l'évolution. Une fois fixées sous l'action de la dérive génétique, ces modifications pourraient avoir conduit à l'extension progressive des régions génomiques incapables de se recombiner au niveau des chromosomes sexuels. « Afin de vérifier si des réorganisations se fixant au hasard peuvent, avec le temps, aboutir à l'impossibilité pour ces chromosomes de se recombiner, nous avons d'ores et déjà envisagé de procéder à des réarrangements artificiels de chromosomes sexuels », conclut Tatiana Giraud, directrice de recherche CNRS au Laboratoire Ecologie systématique évolution, qui a dirigé cette étude.
Référence
Evolutionary strata on young mating-type chromosomes despite the lack of sexual antagonism, par Sara Branco, Hélène Badouin, Ricardo C. Rodríguez de la Vega, Jérôme Gouzy, Fantin Carpentier, Gabriela Aguileta, Sophie Siguenza, Jean-Tristan Brandenburg, Marco A. Coelho, Michael E. Hood et Tatiana Giraud, publié dans PNAS le 19 juin 2017.
DOI: 10.1073/pnas.1701658114
Contact chercheuse
Tatiana Giraud
Ecologie, systématique et évolution (ESE - CNRS/Univ Paris Sud/AgroParisTech)
tatiana.giraud@u-psud.fr