Une vie sous pression : grandir entourés de congénères agressifs est un avantage chez le manchot royal

Résultats scientifiques
  • Les colonies d’oiseaux marins sont des structures hétérogènes, notamment en termes de densité sociale.
  • Chez le manchot royal, les adultes se reproduisant à fortes densités sont plus agressifs et ont des niveaux d’hormones glucocorticoïdes plus élevés.
  • Les poussins qui grandissent dans les zones à forte densité ont une meilleure croissance et des taux de survie plus élevés.

 

Les manchots royaux sont des oiseaux marins de l’extrême. Les adaptations physiologiques et comportementales leur permettant de nager sur des centaines de kilomètres, plonger à plus de 200 mètres de profondeur et jeûner pendant de longues périodes à terre fascinent. Une nouvelle étude1 , publiée dans Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences, souligne l'importance de l'environnement précoce et de la densité sociale sur la croissance et la survie des poussins.

L’environnement social joue un rôle clé dans le développement, agissant à la fois de manière prénatale et postnatale, via ses effets sur le stress auxquels sont soumis les individus. Si ces effets sont bien étudiés chez les adultes, leurs conséquences sur le développement et la survie des jeunes sont moins connus. En particulier car cet environnement peut à la fois être une source de stress mais aussi un moyen d’y échapper. Chez les oiseaux coloniaux par exemple, se reproduire au centre de la colonie, entouré de nombreux congénères, confère un avantage en réduisant le risque de prédation des parents et de leur poussin, et l’exposition aux intempéries. Mais cela implique un plus grand risque de transmission des parasites et pathogènes, ainsi qu’une augmentation du nombre de conflits agressifs entre voisins. Ainsi, la position au sein de la colonie peut avoir un effet marqué à la fois sur l’état de stress des adultes mais aussi sur leur progéniture.

Le manchot royal (Aptenodytes patagonicus) est un oiseau marin plongeur de l’Océan Austral qui se reproduit pendant l’été austral dans de vastes colonies allant de quelques milliers à plus d’une centaine de milliers de couples. Il a la particularité de ne pas faire de nid, mais incube son œuf sur ses pattes sous une poche incubatrice. Pendant environ trois mois, les parents se relaient dans la colonie pour garder l’œuf puis le poussin. Contrairement à son cousin le manchot empereur (Aptenodytes forsteri), la reproduction du manchot royal implique la défense d’un territoire. Les disputes territoriales entre voisins sont quasi-constantes, et l’agressivité est extrêmement élevée (jusqu’à 100 agressions / heure, incluant des coups de becs, d’ailerons, ou comportements de menace).

visuel oeuf manchot
Figure 1 : Adulte manchot royal replaçant son œuf, colonie de la Baie du Marin, Crozet, janvier 2023 © Camille Lemonnier

Depuis plus de 10 ans, dans le cadre d’un programme scientifique soutenu par l’Institut Polaire Français (IPEV), désormais labellisé programme de suivi à long-terme en écologie et évolution (SEE-Life) par le CNRS, les scientifiques suivent chaque année les étapes de la reproduction de ces manchots dans une colonie d’étude aux îles Crozet, s’intéressant notamment aux effets de la densité de l’environnement colonial sur la physiologie et le comportement des oiseaux. Différents travaux ont permis de montrer que les adultes en reproduction dans des zones particulièrement denses de la colonie sont plus agressifs et ont des niveaux de stress basal plus élevés. En revanche, on ne savait rien ou presque des effets de la densité coloniale sur leurs poussins.

Dans cette étude, les chercheurs se sont intéressés au sort des poussins qui grandissent dans des zones à forte et à faible densités de la colonie. Afin de différencier les effets génétiques des effets de l’environnement social, 134 œufs ont été échangés entre couples se reproduisant à des densités différentes dans la même colonie et le devenir des poussins élevés par des parents adoptifs a pu être étudié. De manière générale, les poussins élevés dans les zones à forte densité sont plus gros et plus grands au début de l’hiver que les poussins élevés à faible densité, quel que soit leur environnement d’origine. Il en résulte de meilleures chances de survie pour les poussins élevés à forte densité. Ces différences peuvent s’expliquer à la fois par des effets liés à l’environnement (meilleure protection contre les prédateurs à forte densité sociale) et par des différences de qualité des parents se reproduisant à forte et à faible densité (plus de soin et de nourriture apportés au poussin par les parents en forte densité). Les parents parvenant à sécuriser un territoire dans les zones à forte densité sont probablement plus aptes à investir dans la reproduction et dans leur poussin, ce qui leur confère de plus grandes chances de succès. Les travaux en cours permettront de confirmer ou non cette hypothèse en s’intéressant notamment à l’efficacité et au succès des parents pendant les voyages en mer.

  • 1menée par des chercheurs du CNRS, de l'IFREMER, de l’Institut Ornithologique Suisse et de l’Université de Toronto

Référence de la publication

Lemonnier C, Schull Q, Stier A, Boonstra R, Delehanty B, Lefol E, Durand L, Pardonnet S, Robin J-P, Criscuolo F, Bize P, Viblanc VA. Social, not genetic, programming of development and stress physiology of a colonial seabird. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, publié le 7 août 2024.

Laboratoire CNRS impliqué

Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC – CNRS/Univ. Strasbourg)

Label SEE-life

Cette étude est soutenue par le programme des Suivis à long terme en Écologie et Évolution (SEE-life) du CNRS.

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Contact

Camille Lemonnier
Doctorante - Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ. Strasbourg)
Vincent Viblanc
Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)
Nicolas Busser
Correspondant communication - Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC-CNRS/Univ Strasbourg)