Une analyse approfondie remet en cause des résultats récents relativisant le déclin des insectes

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

A contre courant de publications antérieures alertant sur les fortes diminutions des communautés d’insectes à l’échelle du globe, van Klink et al. concluaient dans la revue Science en avril 2020 à une baisse plus nuancée de l’abondance des insectes terrestres et à une augmentation de celle des insectes d’eau douce. Leur article, basé sur une compilation de séries temporelles de données d’abondance et de biomasse d’insectes, a été largement relayé par la presse internationale. Un consortium pluridisciplinaire incluant des chercheurs d’INRAE, du CNRS, de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, de l’Université de Montpellier, de l’Université de Rennes, du Research Institute for Nature and Forest de Bruxelles et de l’Université de Louvain en Belgique, et de l’Université du Sussex au Royaume-Uni, a décelé de nombreuses erreurs et de multiples biais dans cette méta-analyse et démontre, dans un commentaire paru à son tour dans Science le 18/12/2020, que ces biais sont de nature à remettre en cause les conclusions de van Klink et de ses co-auteurs.

Sphynx bourdon
Sphinx bourdon, Hemaris tityus (Sphingidae), en vol stationnaire devant les fleurs nectarifères de la sauge des prés, Salvia pratensis (Lamiaceae). © Pieter Haringsma. Comme beaucoup de pollinisateurs, ces papillons, sont affectés par les pratiques agricoles intensives et notamment l’utilisation des pesticides.

L’examen minutieux des 166 séries temporelles utilisées dans la méta-analyse de van Klink et al. met en évidence des erreurs dans la constitution du jeu de données et dans son traitement statistique. Ainsi, 113 études ont été inclues ou traitées de manière non conforme aux standards de méta-analyse. Elles englobent notamment quatorze études statistiquement aberrantes sur lesquelles reposait la tendance à la hausse estimée pour les insectes aquatiques.

La méta-analyse incluait un tiers d’études qui visaient à évaluer les effets de facteurs expérimentaux, mais sans prendre en compte l’effet de ces facteurs impactant pourtant les communautés d'insectes. Beaucoup d’études considéraient la recolonisation de sites par des insectes, et donc l’augmentation de leurs populations, suite à des situations exceptionnelles telles qu’un incendie, une décontamination, une dépollution ou la création de réservoirs. Par ailleurs, aucune pondération des études n’a été réalisée en fonction de leur représentativité en termes de localisation géographique, de pratiques agricoles, d’urbanisation, de statut de zone protégée ou encore d'assemblages d'insectes. Ainsi, les insectes envahissants ou tolérants au stress, tels que les moustiques ou les chironomes, étaient surreprésentés par rapport à ceux plus sensibles aux changements environnementaux, comme les abeilles. De plus, près de la moitié des études sur les milieux aquatiques contenait des invertébrés qui n’étaient pas des insectes (mollusques, crustacés ou vers) ! Certaines études étaient surreprésentées par une division géographique artificielle des sites distingués dans l’étude originale. Une partie des séries temporelles utilisées ne comprenait des données insectes que pour la première et la dernière année du suivi. Un code « 101 », signifiant l’absence d’échantillonnage dans un jeu de données, était interprété à tort comme une abondance de 101 insectes. Tous ces problèmes sont de nature à biaiser significativement l’estimation des courbes de tendance. 

Enfin, l’article laissait à penser que l’agriculture était peu impliquée dans le déclin des insectes : en utilisant une base de données extérieure sur l’utilisation des terres, créée à partir d’images satellites, van Klink et ses co-auteurs trouvaient une corrélation positive entre les tendances des abondances d’insectes et les surfaces cultivées. Or cette méthodologie est sujette à de nombreuses erreurs de classification, notamment parce que les terres cultivées et les prairies ont souvent des signatures spectrales similaires. Ainsi, Desquilbet et ses co-auteurs constatent que la couverture des terres cultivées a été mal évaluée dans les deux tiers des études terrestres incluant des zones de cultures. Pour les milieux aquatiques, l’évaluation des pressions qui s’exercent sur les assemblages d’insectes a été seulement réalisée dans la zone proche du point d’échantillonnage et non dans le bassin versant du cours d’eau ou plan d’eau considéré, comme cela se pratique habituellement.

L’ensemble de ces problèmes méthodologiques invalide donc les résultats de l’analyse. Les auteurs du commentaire recommandent l’application de normes rigoureuses pour les méta-analyses en écologie. La communauté scientifique se doit de fournir des évaluations solides sur l’évolution des écosystèmes pour informer au mieux les experts, les décideurs publics et les citoyens. Si la science minimise à tort la crise de la biodiversité, il ne sera pas possible d’espérer mettre en place des politiques protégeant les espèces à la hauteur des pressions qu’elles subissent.

Ces travaux, coordonnés par deux chercheuses de la Toulouse School of Economics (INRAE/CNRS/EHESS/Université Toulouse 1 Capitole) et du laboratoire Botanique et Modélisation de l’Architecture des Plantes et des végétations (AMAP - CNRS/CIRAD/INRAE/IRD/Université de Montpellier), résultent d’une collaboration internationale avec :

  • le laboratoire Géosciences Environnement  Toulouse (GET - CNRS / IRD / Université Toulouse Paul Sabatier / Toulouse INP),
  • le Laboratoire Ecologie fonctionnelle et Environnement (CNRS / Université Toulouse Paul Sabatier / Toulouse INP),
  • l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement de Paris (iEES -  INRAE / CNRS / IRD / UPEC / Université de Paris / Sorbonne Université),
  • l’unité TSE-Recherche (TSE-R – CNRS / INRAE / EHESS / Université Toulouse 1 Capitole)
  • le Centre de Biophysique Moléculaire à Orléans (CBM - CNRS),
  • l’Institut de Recherche Mathématique de Rennes (IRMAR - CNRS / Université de Rennes),
  • le Research Institute for Nature and Forest (INBO) à Bruxelles,
  • le Earth & Life Institute de l’Université de Louvain en Belgique,
  • et la School of Life Sciences de l’Université du Sussex au Royaume-Uni.
Libellule
Libellule, Neurothemis terminata (Libellulidae) dans la forêt tourbeuse marécageuse de Bornéo (Brunei Darrussalam). © Laurence Gaume-Vial/CNRS. Les libellules passent leur stade larvaire en milieu aquatique et, parmi elles, selon les données de l’UICN, beaucoup d’espèces sont menacées par les changements environnementaux au profit de quelques espèces généralistes.

 

Objectifs de développement durable

pictODD

  • ODD 15 : Vie terrestre

Référence

Marion Desquilbet, Laurence Gaume, Manuela Grippa, Régis Céréghino, Jean-François Humbert, Jean-Marc Bonmatin, Pierre-André Cornillon, Dirk Maes, Hans Van Dyck, David Goulson. Comment on “Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances”, Science, 18 Dec 2020

Contact

Laurence Gaume
Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / IRD / CIRAD / INRAE / Université de Montpellier)
Marion Desquilbet
Toulouse School of Economics (INRAE / CNRS / EHESS / Université Toulouse 1 Capitole)
Marie-Hélène Lafond
Correspondante communication - Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des végétations (AMAP - CNRS / IRD / CIRAD / INRAE / Université de Montpellier)