Un oiseau marin sentinelle de la banquise arctique

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

 

  • Une population d’un oiseau marin plongeur d’Arctique, le guillemot de Mandt, a été suivie sur 50 ans pendant une période des changements rapides du climat et de son milieu.
  • Un déclin de 84 % des effectifs a été observé au cours des 30 dernières années, dû à une fonte de la banquise ayant engendré une baisse des ressources alimentaires, de la survie et de l’immigration.
  • Espèce sentinelle de la banquise arctique, la dynamique de population du guillemot de Mandt témoigne de la réduction de l’abondance du principal poisson fourrage, le cabillaud arctique.

 

Si l'Arctique connaît une diminution de la banquise et une augmentation des températures spectaculaires depuis plusieurs décennies, il existe peu de suivis biologiques à long terme évaluant les impacts de ces changements sur les écosystèmes. Une étude récente publiée dans Ecosphere a montré que le guillemot de Mandt, un oiseau marin plongeur très lié à la banquise, est une excellente espèce sentinelle de la région et du cabillaud arctique, un poisson consommé par de nombreux prédateurs.

La disparition de la banquise arctique due au changement climatique est l'une des plus importantes pertes d'habitat sur la planète en raison du réchauffement climatique, avec une réduction de 50 %, soit une perte de plus de 3,5 millions de km², de l'étendue de banquise en septembre depuis 1980. L’'écosystème associé à la banquise est composé de microalgues adaptées à un environnement froid à faible luminosité poussant sous et dans la banquise, et qui soutiennent une faune de zooplancton sous la glace ainsi que des poissons dont le cabillaud arctique (Boreogadus saida). Riche en lipides, ce dernier fournit plus de 70 % du transfert d'énergie aux poissons piscivores, aux oiseaux de mer et aux mammifères marins dans certaines régions de l'Arctique.

Le cabillaud arctique est abondant dans les zones où la banquise est ancienne et épaisse en raison de la plus grande disponibilité des proies, de la profondeur et de l'irrégularité de la subsurface de la glace qui facilite l'évitement des prédateurs. Cependant, en raison de l'éloignement de l’Arctique et des contraintes logistiques liées à l'échantillonnage de la banquise, les données biologiques à long terme manquent pour évaluer les effets de la diminution de la banquise sur l’écosystème associé. C’est ce qu’ont étudié des chercheurs de Cooper Island Arctic Research et du Centre Biologiques de Chizé grâce à une analyse démographique d’une population de guillemot de Mandt (Cepphus grylle mandtii), l’un des rares oiseaux de mer de l'Arctique spécialistes de la banquise, depuis 1975 sur l’île Cooper en Alaska.

Chaque année tous les guillemots de l’île Cooper sont bagués et mesurés, avec un suivi journalier de leurs comportements pendant la reproduction de juin à août. La durée exceptionnelle de ce suivi à long terme, parmi les plus longs chez les vertébrés, a permis de comprendre que la colonie a d’abord grossi rapidement, passant de moins de 20 en 1975 à plus de 200 couples en 1990, grâce à une immigration massive d’individus et une faible mortalité. Mais depuis 1990, la colonie a fortement diminué avec moins de 25 couples en 2023. Grâce au suivi longitudinal des individus, les scientifiques ont ainsi pu montrer que cette baisse était due à une augmentation de la mortalité combinée à une baisse de l’immigration et de la reproduction. C’est l'étendue de la banquise à la fin de l'été et à l'automne qui a joué un rôle déterminant sur ces trois paramètres.

En effet, la croissance initiale de la colonie s'est produite au cours d'une période de banquise estivale étendue. A partir de 1989-1990 des changements dans la circulation atmosphérique et océanographique ont entraîné des réductions importantes de la banquise estivale dans toute la région et une augmentation de la température de la mer (cf figure 1). Ceci s’est traduit par la baisse de la disponibilité du cabillaud arctique, espèce proie favorite du guillemot. Ce suivi à long terme a ainsi donné lieu à une étude multi-décennale unique, permettant de comprendre la réponse d'un prédateur marin supérieur aux changements de disponibilité du cabillaud arctique, une espèce clé du système cryopélagique de l'Arctique.

visuel Barbaud
Figure 1 : Variation de la taille et de la composition de la colonie de guillemot de Mandt sur l’île de Cooper, Alaska, montrant les trois points de basculement reconnus de la banquise et de l’océanographie dans l’Arctique occidental (figure issue de la publication modifiée par les auteurs).

La quasi-extinction de la colonie est prévue dans les deux prochaines décennies. Toutes les autres populations du guillemot de Mandt en Arctique ayant subi les mêmes changement climatiques et océanographiques que celle de l’île de Cooper, où l’immigration s’est tarie, cela signifie que l’ensemble de la métapopulation du bassin Arctique de cette espèce est en déclin.

Label SEE-life

Cette étude est soutenue par le programme des Suivis à long terme en Écologie et Évolution (SEE-life) du CNRS.

En savoir plus sur ce programme

Référence de la publication

Divoky, G. J., Jan, P., & Barbraud, C. An ice‐obligate seabird responds to a multi‐decadal decline in Arctic sea ice. Ecosphere, publié le 14 août 2024.

Laboratoire CNRS impliqué

Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/La Rochelle Univ.)

Contact

Christophe Barbraud
Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC - CNRS / La Rochelle Université)
Cécile Ribout
Correspondante communication - Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS/La Rochelle Université)