Un croisement entre deux espèces de papillons il y a 200 000 ans a conduit à la formation d’une nouvelle espèce
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Alors qu’on se représente la formation de nouvelles espèces comme la division d’une espèce ancestrale en au moins deux nouvelles espèces, un consortium international impliquant des chercheurs du CNRS vient de mettre en évidence la formation d’une nouvelle espèce par un processus d’hybridation. L’étude, publiée dans la revue Nature, révèle que le papillon amazonien Heliconius elevatus est issu du croisement entre les espèces Heliconius pardalinus et Heliconius elevatus, il y a 200 000 ans.
On se représente souvent l’arbre du vivant comme une structure où les branches, qui correspondent aux espèces ancestrales, se divisent au cours du temps, donnant ainsi naissance à de nouvelles espèces. Ce modèle correspond par exemple à la mise en place d’une barrière géographique qui sépare physiquement les populations d’une même espèce, qui évoluent alors de façon indépendante jusqu’à ne plus être interfertiles, ou encore à l’action de barrières écologiques, entraînant également une divergence entre populations jusqu’à la formation d’espèces à part entière.
Une nouvelle étude, réalisée par un consortium international et publiée dans la revue Nature, montre que l’arbre du vivant ne se conforme pas toujours à cette image. En effet, les branches de l’arbre du vivant sont entremêlées, la formation de nouvelles espèces résultant parfois du croisement entre deux espèces. Ce consortium1 a montré qu’une espèce de papillon amazonien, Heliconius elevatus, avait vu le jour suite au croisement de deux autres espèces, Heliconius pardalinus et Heliconius melpomene, il y a environ 200 000 ans.
Ces trois espèces coexistent encore aujourd’hui en Amazonie. Au terme d’un travail de plus de 10 ans, combinant études génétiques, croisements en captivité et mesures des caractères liés à la survie ou à la reproduction, l’équipe a établi que H. elevatus était génétiquement plus proche de H. pardalinus que de H. melpomene, mais que c’est H. melpomene qui lui a transmis les caractères qui ont causé sa séparation avec H. pardalinus (cf Fig. 1). Parmi les caractères hérités de H. melpomene, on trouve le motif coloré des ailes, qui joue un rôle crucial dans le choix du partenaire lors de la reproduction, mais aussi les phéromones sexuelles, la préférence de ponte sur la plante nourricière des chenilles, la forme des ailes, et même la manière de voler. Ensemble, ces caractères isolent la lignée hybride des deux espèces parentes en limitant les échanges génétiques, en particulier avec l’espèce la plus proche (H. pardalinus) bien qu’elles soient interfertiles en captivité.
Ce mode de formation de nouvelles espèces, appelé spéciation hybride, est considéré comme très rare dans le monde animal. Mais cette rareté tient peut-être au fait qu’il est très difficile de mettre formellement la spéciation hybride en évidence : il faut non seulement montrer qu’une espèce est issue d’un croisement entre deux autres espèces, mais aussi que c’est le croisement, via les caractéristiques qui en découlent, qui est responsable de l’isolement reproducteur de la lignée hybride avec les espèces parentales. Or, avec le développement des techniques de séquençage d’ADN à haut débit, la découverte d’échanges de gènes entre espèces proches mais pourtant bien distinctes devient de plus en plus fréquente. Il n’est donc pas exclu que dans certains cas, ces échanges de gènes, survenus à la faveur d’un rare événement d’hybridation, aient été à l’origine de la formation d’une nouvelle espèce. L’importance de la spéciation hybride dans la diversification du vivant reste donc à documenter.
- 1impliquant une chercheuse et un chercheur CNRS de l’ISYEB et du CEFE ainsi que de nombreux scientifiques d’Amérique du Sud
Référence de la publication
Rosser, N., Seixas, F., Queste, L. M., Cama, B., Mori-Pezo, R., Kryvokhyzha, D., Nelson, M., Waite-Hudson, R., Goringe, M., Costa, M., Élias, M., Figueiredo, C. M. É., Freitas, A. V. L., Joron, M., Kozak, K. M., Lamas, G., Martins, A. R. P., McMillan, W. O., Ready, J. S.,. . . Dasmahapatra, K. K. Hybrid speciation driven by multilocus introgression of ecological traits. Nature, publié le 17 avril 2024.