Un bond en avant dans l’identification des restes d’équidés domestiques anciens dans les vestiges archéologiques
Les collections des laboratoires d’Ostéoarchéologie de l’Université d’Istanbul ainsi que du laboratoire d’Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, Pratiques et Environnements (AASPE - MNHN/CNRS) ont permis d’obtenir plus d’une centaine d’ossements archéologiques en vue d’analyses de pointe, alliant technologies de séquençage de nouvelle génération au Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT - CNRS/UT3 Paul Sabatier) et imagerie 3D de précision au sein de l’Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse (IMFT - CNRS/ INP Toulouse/ UT3 Paul Sabatier). Les ossements retenus - les os pétreux - avaient été choisis pour être fréquemment retrouvés sur les sites archéologiques, mais aussi car ils renferment l’oreille interne, une structure connue pour varier d’une espèce à l’autre chez les primates, voire même entre mâles et femelles. On pouvait donc s’attendre à ce que son exploration fine puisse venir régler un problème particulièrement difficile en archéozoologie, celui de savoir si des chevaux, des ânes ou même des mules et bardots formaient en fait les ensembles fossiles retrouvés dans les sites archéologiques. Cette étude parue dans le Journal of Archaeological Science est le fruit d’une collaboration entre le Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT - CNRS/UT3 Paul Sabatier) et divers laboratoires français et internationaux.
Depuis leur domestication, l’impact qu’ont eu les chevaux, les ânes et les mules sur l’histoire des sociétés humaines est bien connu. Ensemble, ils ont révolutionné nos capacités de déplacement et de transport, globalisant le monde et son économie pour la première fois, mais ont aussi changé l’art de la guerre à tout jamais et ont fourni, et fournissent encore dans certains pays, leur force au travail agricole. Aussi important que fut l’impact socio-économique des équidés domestiques au cours de l’histoire, son archéologie reste difficile à étudier dans la mesure où leurs vestiges osseux s’avèrent souvent difficiles à identifier. En effet, ils sont souvent incomplets et extrêmement fragmentés, ce qui limite la performance des méthodes d’identification classiques, qui nécessitent l’analyse conjointe de la morphologie de plusieurs éléments du squelette. Les travaux menés au sein du Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT - CNRS/UT3 Paul Sabatier) depuis quelques années ont permis d’établir une méthode de détermination du sexe et de l’espèce fiable à 100 %. Cette méthode est basée sur l’analyse de l’ADN ancien préservé au sein des fossiles. Elle nécessite non seulement que suffisamment d’ADN ait traversé les époques pour être analysé aujourd’hui, mais aussi des équipements et un savoir-faire de pointe, qui ne sont pas disponibles dans tous les laboratoires. C’est en vue de développer une méthode non-invasive qui soit disponible pour tous que le laboratoire CAGT a entrepris de baser ces nouvelles analyses sur l’oreille interne.
C’est en effet cette structure osseuse qu’étudie au sein du CAGT le professeur José Braga depuis de nombreuses années. Il a pu en caractériser les variations de forme chez les primates à l’aide de techniques d’imagerie médicale de pointe et les exploiter pour identifier l’espèce, et parfois même, le sexe des ossements qu’il retrouve sur les sites archéologiques témoignant de la naissance de la lignée humaine, en Afrique du Sud. Ce nouveau challenge d’identification chez les équidés semblait donc taillé sur mesure pour le CAGT, qui rassemble ces savoir-faire d’imagerie médicale et d’analyse des ADN anciens. Au final, ce sont 102 os pétreux datant principalement des périodes romaine et byzantine qui ont ainsi été scannés par micro tomographie à rayons X afin d’établir les variations de forme chez les ânes, les chevaux et les mules dont l’espèce et le sexe avaient été établis de manière certaine par analyse ADN. Conclusion : il apparait que la forme fine de l’oreille interne suffit à identifier l’espèce de l’animal qui la portait, mais pas son sexe, contrairement à ce que l’on observe dans l’espèce humaine. Néanmoins, avec ses coûts réduits et sa fiabilité frôlant les 95 %, il ne fait pas de doute que cette nouvelle méthode vienne bientôt compléter la trousse à outils des archéologues désireux d’identifier la faune constitutive de leurs assemblages osseux.
Cette étude interdisciplinaire parue dans le Journal of Archaeological Science mêle l’approche archéologique, la géométrie morphométrique ainsi que l’archéogénétique. Les infrastructures des laboratoires CAGT et IMFT de Toulouse ainsi que le soutien financier de l’Union Européenne (ERC PEGASUS) et celui du programme interdisciplinaire MITI du CNRS (Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires) ont permis de mener à bien les analyses.
Référence
Pierre Clavel, Jean Dumoncel, Clio Der Sarkissian, Andaine Seguin-Orlando, Laure Calvière-Tonasso, Stéphanie Schiavinato, Lorelei Chauvey, Aude Perdereau, Jean-Marc Aury, Patrick Wincker, Vedat Onar, Benoît Clavel, Sébastien Leptz, José Braga and Ludovic Orlando, Assessing the predictive taxonomic power of the bony labyrinth 3D shape in horses, donkeys and their F1-hybrids, Journal of Archaeological Science 131, 10583.