Savanes de Guyane : quelle stratégie de conservation pour des socioécosystèmes entre nature et culture ?

Résultats scientifiques

La Guyane est plus connue pour sa forêt amazonienne que pour ses savanes, qui ne représentent que 0,3 % environ de son territoire. Pourtant, celles-ci revêtent une grande importance en termes de biodiversité, mais aussi de patrimoine historique et culturel. Comment les protéger aujourd’hui ? Un consortium interdisciplinaire de plusieurs laboratoires du CNRS, de l’Université Fédérale d’Amapá, l’Université de Guyane, l’Université d’Aberdeen et d’ONG (Groupe d’Étude et de Protection des Oiseaux en Guyane, Kwata) a voulu faire le point sur la question à partir de données tant sur l’archéologie, l’histoire, l’anthropologie, que sur la faune et la flore. Le résultat est un article de synthèse paru dans la revue Tropical Conservation Science.

Champs surélevés précolombiens de la Karouabo
Champs surélevés précolombiens de la Karouabo, littoral de Guyane. © Stephen Rostain, 1989.

Les savanes sèches et inondables de Guyane s’inscrivent dans la mosaïque de paysages du littoral, qui comprend aussi des mangroves, des marais et des forêts, et qui accueille actuellement 95 % de la population humaine et les infrastructures les plus importantes (villes, routes...). Elles sont le produit d’une histoire complexe liée à la géologie et au climat, mais aussi aux influences humaines.

Durant la période précolombienne, entre 1000 et 1500, l’agriculture sur champs surélevés est pratiquée par les porteurs de la tradition arauquinoïde. Cette technique, qui permet de contrôler l’humidité et d’améliorer la fertilité, est abandonnée au moment de la conquête européenne. Les colons utilisent les savanes, considérées comme des prairies naturelles, pour l’élevage bovin. La pratique du brûlis se répand pour améliorer le pâturage. Pour la société créole qui se développe après l’esclavage, la mosaïque paysagère du littoral est un lieu de ressources dans le cadre d’une pluriactivité. Les savanes sont alors le lieu de pratiques de chasse, de pêche et de cueillette, notamment de fruits de palmiers, et des bovins y sont laissés en liberté. A partir des années 1970, de nouvelles pratiques d’élevage sont introduites, sur de vastes parcelles clôturées dans lesquelles le pâturage est amélioré par l’amendement des sols et l’introduction d’espèces végétales exotiques.

Des désaccords apparaissent entre d’une part des chasseurs, pêcheurs et collecteurs créoles et amérindiens qui souhaitent le maintien des savanes en l’état, et d’autre part des éleveurs « modernes », parfois labellisés agriculture biologique, qui entreprennent de transformer les savanes pour mettre en place une agriculture qu’ils veulent durable.

En termes de biodiversité, les savanes sont une combinaison d’habitats naturels souvent uniques pour la faune et la flore. Les champs surélevés précolombiens constituent aujourd’hui un habitat prisé des fourmis, termites, vers et diverses plantes qui s’y sont établis et contribuent à les maintenir. De manière générale, l’hétérogénéité des savanes rend celles-ci extrêmement riches en nombre d’espèces, alors qu’elles ne représentent que 0,3 % du territoire. Mais les espèces dépendantes des savanes sont davantage menacées que l’ensemble des espèces de Guyane, probablement à cause de la réduction de la surface de savanes. Ainsi, 55 des 197 espèces de mammifères terrestres recensées en Guyane ont été observées sur les savanes, dont deux ont été identifiées comme dépendantes des savanes. L’une d’elles, le petit marsupial Cryptonanus nov sp., est considéré comme « en danger » au niveau régional par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). De même, on y relève la présence de 64 des 730 espèces d’oiseaux de Guyane, parmi lesquelles 21 sont dépendantes des savanes. De ces dernières, 81 % sont menacées régionalement. On retrouve aussi cette configuration pour les reptiles et les amphibiens. Côté flore, 16 % des plantes de Guyane, parmi lesquelles de nombreuses plantes rares, sont présentes sur les savanes.

En Amérique du Sud, les savanes sont peu protégées et font l’objet d’importantes dégradations. C’est aussi le cas en Guyane, où leur surface a diminué de 7,2 % entre 2001 et 2015. Seules 2,4 % des savanes y sont en zone de protection, mais 75 % sont classées ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique). Une partie d’entre elles sont protégées des aménagements car considérées comme « espaces naturels à haute valeur patrimoniale » par le Schéma d’Aménagement Régional.

Les principales inquiétudes pour le devenir des savanes concernent le feu, l’agriculture, les espèces exotiques envahissantes et les aménagements. Traditionnellement utilisé par les populations à la saison sèche, le feu peut jouer un rôle dans le maintien de l’écosystème, mais le brûlis incontrôlé constitue une menace. De grands projets d’agriculture intensive ont été tentés dans le passé (riz, canne à sucre, pins pour la pâte à papier), mais ont jusqu’alors échoué. Les espèces exotiques envahissantes les plus préoccupantes sont Acacia mangium et Melaleuca quinquenervia. Introduit avec le soutien des institutions gouvernementales pour reboiser les sites miniers, Acacia mangium s’est rapidement révélé invasif en savanes, d’autant que le feu favorise la germination des graines. Parmi les projets d’infrastructures susceptibles d’avoir des conséquences sur les savanes, on peut citer l’extension des installations du Centre Spatial Guyanais, la création de fermes de panneaux solaires ou d’éoliennes, et la construction de zones résidentielles.

Les stratégies de conservation devront prendre en compte tant la biodiversité que les paysages et les activités humaines, ainsi que le patrimoine archéologique. Étant donné l’hétérogénéité tant des milieux que des enjeux humains concernant les savanes, il est nécessaire que les dispositifs de protection fassent l’objet d’un processus participatif incluant les populations et prenant en compte les spécificités locales de chaque zone.

Cette publication a bénéficié du soutien du labex CEBA (Centre d’Étude de la Biodiversité Amazonienne : ANR-10-LABX-25-01).

Râle ocellé (Micropygia schomburgkii)
Râle ocellé (Micropygia schomburgkii), espèce en danger inféodée aux savanes, photographie M. Dewynter, 2020.

 

Référence

Stier, A., de Carvalho, W.D., Rostain, S., Catzeflis, F., Claessens, O., Dewynter, M., McKey, D., Mustin, K., Palisse, M., de Thoisy, B., 2020. The Amazonian Savannas of French Guiana : Cultural and Social Importance, Biodiversity, and Conservation Challenges. Tropical Conservation Science 13, 1940082919900471.

Contact

Marianne Palisse
Laboratoire Écologie Évolution, Interactions des Systèmes Amazoniens (LEEISA - CNRS/UG/Ifremer)
Gaëlle Fornet
Communiction - Laboratoire écologie, évolution, interactions des systèmes amazoniens (LEEISA)