Repenser la transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur : Une révision critique des données propose une redéfinition du rôle des néandertaliens dans l’émergence de l'homme moderne
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Publiée dans Quaternary Environments and Humans, cette étude interdisciplinaire propose un nouveau cadre pour comprendre la transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur, une période charnière dans l'histoire de l’Humanité. Quatre chercheurs, dont trois affiliés à des laboratoires du CNRS, examinent de manière critique les récits dominants, un grand corpus de données liées aux interactions entre Neandertal et ses contemporains, et plaident pour une approche plus nuancée de ce processus. Contrairement aux modèles établis, qui décrivent largement les Néandertaliens comme remplacés ou acculturés par des humains déjà pleinement « modernes » venus d’Afrique, l'étude plaide en faveur d'un modèle d' «assimilation» dans lequel les développements culturels et les échanges entre groupes au cours de milliers d'années ont conduit à des populations biologiques diverses avec des anatomies en mosaïque. Cette perspective novatrice modifie notre compréhension de la diversité culturelle et biologique des habitants de l’Eurasie entre 50 000 ans et 30 000 ans avant le présent.
S'appuyant sur les récentes avancées en matière d'ADN ancien (ADNa), de datation au radiocarbone et sur une réévaluation méticuleuse des stratigraphiques archéologiques, les auteurs remettent en question les modèles dominants qui caractérisent les Néandertaliens comme une espèce distincte, rapidement remplacée par des humains anatomiquement modernes et technologiquement avancés. L'article présente au contraire un scénario nuancé dans lequel les Néandertaliens et leurs contemporains en Afrique et en Eurasie n'étaient pas des entités distinctes avec des barrières culturelles ou biologiques rigides.
Selon l'étude, il y a à peu près 45-50 mille ans, l’émergence de processus d’interaction intense entre tous ces groupes a donné naissance à des populations mélangées avec ancêtres et pratiques culturelles partagés. Ce modèle d'assimilation suggère que, plutôt qu'un simple remplacement ou une acculturation unidirectionnelle, les Néandertaliens et leurs contemporains en Afrique et en Eurasie se sont influencés mutuellement pendant des milliers d'années, donnant naissance à un continuum de caractéristiques anatomiques et d'artefacts culturels qui résistent à une catégorisation binaire. Grâce à un examen critique de sites archéologiques attribués au Bachokirien dans les Balkans, au Ranisien en Europe centrale, au Châtelperronien en France et en Espagne, et à l'Uluzzien en Italie, les auteurs apportent des preuves qui remettent en question le modèle de la « sortie récente de l'Afrique » (ROA).
Selon ce modèle, la modernité technologique et cognitive est apparue exclusivement chez des humains anatomiquement modernes qui ont migré d'Afrique vers l'Europe, remplaçant rapidement les Néandertaliens. L'étude souligne que les populations des deux continents ont fait preuve d'innovations culturelles souvent comparables, ce qui suggère que les Néandertaliens partageaient des capacités cognitives que l'on croyait autrefois propres à l'homme moderne. L'étude critique également l'utilisation répandue du label « Initial Upper Paleolithic » (IUP), qui est fréquemment traité comme indicateur techno-culturel accompagnant la dispersion de l'homme moderne « de Lisbonne à Vladivostok » et servant comme indicateur archéologique fiable de ce processus.
Les auteurs affirment que ce terme masque des problèmes importants liés à la perturbation des sites et aux erreurs d'association qui peuvent résulter de processus post-déposition. Ils soulignent que les données culturelles et biologiques de ces sites reflètent un processus complexe d'échanges démographiques et culturels plutôt qu'une simple vague de dispersion d’une population intrusive. En outre, l'équipe souligne l'ambiguïté de la catégorisation de restes humains fragmentaires en groupes d'espèces rigides, compte tenu des données de la génétique et la nature continue de la variation biologique. Cette recherche souligne que la compréhension de la transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur nécessite l'abandon des modèles taxonomiques binaires au profit d'une approche qui considère l'évolution biologique et culturelle comme des processus complexes et imbriqués.
Les auteurs préconisent l'utilisation de données génétiques et de la taphonomie des sites - l'étude de la manière dont les vestiges archéologiques sont conservés et interprétés - pour donner une image plus claire de la dynamique historique entre les populations d’origine africaine et eurasiatique dont le mélange a produit les peuples Cro-Magnon du Paléolithique supérieur, au squelette dit pleinement « moderne ». En considérant toutes ces populations ancestrales comme composées d’individus appartenant à des communautés en interaction dont les frontières étaient fluides, cette nouvelle perspective offre une vision plus réaliste des processus évolutifs qui ont façonné la diversité des populations du Paléolithique supérieur en Europe et en Asie.
Le changement de paradigme préconisé par l'article invite archéologues, paléogénéticiens et paléoanthropologues à adopter un cadre d'interprétation qui respecte l'ensemble des preuves disponibles aujourd'hui. Ce faisant, il jette les bases de futures recherches visant à explorer l’évolution humaine d'une manière qui reflète la nature diversifiée et adaptative des membres de notre genre. Cette étude ne se contente pas de réexaminer les preuves du passé avec un regard neuf, elle ouvre également la voie à de nouveaux débats sur la complexité des interactions entre les Néandertaliens et les peuples contemporains d’Afrique et d’Asie orientale et sur leurs contributions communes à notre patrimoine culturel et génétique.
Référence de la publication
Zilhão, J., D’ERRICO, F., Banks, W. E., & Teyssandier, N. (2024). A Data-Driven Paradigm Shift for the Middle-to-Upper Palaeolithic Transition and the Neandertal Debate. Quaternary Environments And Humans, publié le 12 décembre 2024.
Laboratoire CNRS impliqués
Laboratoire PACEA, UMR5199, CNRS, Université de Bordeaux, MC, 33615, Pessac, France
Laboratoire TRACES, UMR 5608, CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès, MC, 31058, Toulouse, France